RÉCIT - Si Emmanuel Macron l’a critiqué, l’Union européenne est dans l’embarras pour prendre des mesures
contre le propriétaire de la plateformeX, allié du nouveau président américain.
Les Européens craignaient le retour de Donald Trump. Ils n’avaient pas vu venir le danger Elon Musk. Depuis quelques jours, l’homme d’affaires américain, propriétaire de Tesla et de la plateforme X (ex-Twitter), s’est livré sur son réseau social à un florilège d’attaques contre les gouvernements de pays européens, ciblant en particulier l’Allemagne et le Royaume-Uni.
Après avoir, l’été dernier, soufflé sur les braises d’émeutes racistes en Grande-Bretagne, il s’en est pris au premier ministre Keir Starmer, jugé «absolument méprisable», au prétexte d’un scandale de pédophilie commis par des communautés pakistanaises, vieux de dix ans. En Allemagne, après l’attentat du marché de Noël de Magdebourg , il a qualifié le chancelier Olaf Scholz de «fou» et d’«imbécile incompétent», et le président Frank-Walter Steinmeier de «tyran».
«Seule l’AfD peut sauver l’Allemagne», postait-il, le 20décembre. Une intervention préoccupante en faveur du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland, deuxième dans les sondages pour les élections au Bundestag du 23février. Face à ces ingérences, la Commission européenne propose… une «table ronde», le 24janvier, sur les risques éventuels pour les élections allemandes.
«Attaque frontale contre notre démocratie»
Les Européens sont pris de court par ces attaques en règle de l’homme le plus riche du monde, qui s’est offert en 2022 le réseau Twitter pour 44milliards de dollars. D’autant plus qu’il est appelé à jouer un rôle dans la nouvelle Administration de Donald Trump, où il sera chargé de «l’efficacité gouvernementale». Emmanuel Macron s’est inquiété, lundi, sans le nommer, de son activisme en faveur d’une «internationale réactionnaire». Keir Starmer et Olaf Scholz ont également réagi. Le vice-chancelier allemand Robert Habeck a dénoncé une «attaque frontale contre notre démocratie». L’inquiétude grandit depuis qu’Elon Musk a invité Alice Weidel, présidente de l’AfD, à une «conversation» sur X, prévue ce jeudi, comme il l’avait fait avec Donald Trump lors de la campagne pour la présidentielle américaine.
La Commission européenne, qui se targue d’avoir adopté des mesures très contraignantes pour encadrer les plateformes numériques, via le règlement sur les services numériques (le DSA: Digital Services Act), est sommée de réagir. «Rien dans le DSA n’interdit au propriétaire d’une plateforme ou à quiconque d’héberger un live stream et d’exprimer ses opinions personnelles», précise un porte-parole de l’exécutif européen,
Thomas Regnier. Il rappelle que, forte de 150 spécialistes du numérique, la Commission enquête déjà depuis plus d’un an sur X, notamment pour des problèmes de manque de transparence sur les publicités et de tromperie sur les comptes certifiés. Par ailleurs, elle étudie les éventuelles manipulations de l’algorithme de X qui vise à promouvoir certains contenus. Des investigations qui semblent au point mort.
La Commission européenne aux abonnés absents
«Si, dès qu’on ouvre X, on a tout de suite 100 ou 150 tweets d’Elon Musk qui vous arrivent dessus en rafale sans que vous n’ayez rien demandé, ça peut poser problème», a commenté Thierry Breton, sur LCI. L’ancien commissaire au Numérique, remercié par Ursula vonderLeyen, a mis en garde Alice Weidel et Elon Musk sur le traitement déséquilibré accordé à l’AfD sur X, comme il l’avait fait l’été dernier à propos de l’interview de Trump, ce qui lui avait valu d’être désavoué par la Commission. Celle qui lui a succédé comme responsable de la souveraineté technologique à Bruxelles, la Finlandaise Henna Virkkunen, est aux abonnés absents. De même qu’Ursula vonderLeyen, terrassée par une pneumonie depuis le début de l’année. «Le choix politique est de ne pas nourrir ce débat pour l’instant», justifie sa porte-parole.
Le ministre des Affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, a exhorté mercredi la Commission à «agir avec la plus grande fermeté». «Il est inacceptable que la Commission européenne se limite à des déclarations vagues sur la liberté d’expression d’Elon Musk tout en n’agissant pas contre les violations flagrantes du Digital Services Act par la plateforme X», s’indigne de son côté Sandro Gozi, eurodéputé Renew… sur X. Il réclame «beaucoup plus de courage» de la part de l’exécutif européen. Le groupe centriste au Parlement européen demande un débat urgent en plénière sur le sujet.
De son côté, la délégation des socialistes français a écrit à la Commission pour lui demander d’expliquer sa stratégie. «Tout le monde est pris comme des lapins dans les phares d’une voiture», regrette l’eurodéputée PS Chloé Ridel, qui dénonce un manque de «volonté politique» face aux «intimidations délirantes quotidiennes» d’Elon Musk. Elle fustige aussi la complaisance des groupes d’extrême droite, dont les
Patriotes pour l’Europe de Jordan Bardella, qui avaient proposé Elon Musk comme candidat au prix Sakharov sur la liberté d’expression, ou les Conservateurs et Réformistes (ECR) de Giorgia Meloni, qui viennent de réitérer une invitation au patron libertarien à venir s’exprimer devant le Parlement de Strasbourg.
Activer l’article 34 du DSA
L’amitié de la présidente du Conseil italien pour Elon Musk, qu’elle qualifie de «génie», illustre les divisions entre Européens. Meloni vient de confirmer être en négociation avec sa société SpaceX pour un contrat de 1,5milliard d’euros pour un système des communications sécurisées via son réseau satellitaire Starlink. Un coup de pied de l’âne, après le lancement du projet concurrent Iris2 de l’Union européenne, en décembre.
«L’Italie est un pays souverain», se borne-t-on à commenter à la Commission.
Prudente, la Commission veut éviter d’envenimer ses relations avec Donald Trump et son entourage avant même son entrée en fonction. L’interview sur X de la patronne de l’AfD pourrait tomber sous le coup du DSA, si ce contenu était mis en avant de façon disproportionnée par l’algorithme de la plateforme. L’Union européenne pourrait aussi activer l’article 34 du DSA, qui prévoit une procédure d’action rapide en cas de «risque systémique», notamment sur les «processus électoraux». C’est ce qui lui a permis d’intervenir face aux soupçons d’ingérence russe, via TikTok, dans l’élection présidentielle roumaine , invalidée en décembre.
Au bout du compte, l’Union européenne pourrait condamner X à une amende allant jusqu’à 6% de son chiffre d’affaires mondial, au titre du DSA. «L’infrastructure de l’internet et le siège du réseau social étant basés aux États-Unis, s’il refuse de payer, les chances de succès sont assez réduites», nuance François Viangalli, avocat et professeur de droit européen. Et le futur vice-président de Donald Trump, JD Vance, a menacé les Européens d’un retrait américain de l’Otan s’ils sanctionnaient X. Quant à une interdiction pure et simple de la plateforme en Europe, comme cela s’est produit au Brésil , cela paraît «hautement improbable, une option nucléaire ultime», juge Giorgos Verdi, spécialiste du numérique au European Council of Foreign Relations. Selon lui, la réponse européenne devra à la fois être technique et juridique, mais aussi diplomatique, dans le cadre des négociations entre les Vingt-Sept et la nouvelle Administration américaine. Pour l’eurodéputée Renew Stéphanie Yon-Courtin, «c’est certes politiquement plus sensible de s’attaquer à Elon Musk qu’à TikTok, mais si on ne l’arrête pas, qu’est ce qui arrêtera le patron de X?»