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Le Monde - Henna Virkkunen, la très discrète commissaire européenne à la souveraineté numérique - 03/06/2025

Henna Virkkunen, la très discrète commissaire européenne à la souveraineté numérique
Très discrète, Henna Virkkunen, l’une des cinq vice-présidents exécutifs de la Commission européenne, chargée de la souveraineté technologique, de la sécurité et de la démocratie, a sans doute peu apprécié le moment de célébrité que lui a valu, dans la bulle bruxelloise, un article du site Politico, publié le 15 mai. On y apprenait que des hauts fonctionnaires de la Commission, experts du numérique, avaient reçu un e-mail leur expliquant quelques règles de bonne conduite à suivre en présence du cabinet de la Finlandaise.
Entre autres, on leur demande, lors de ces rendez-vous, d’être « correctement habillés », avec une mention spéciale pour les hommes, qui doivent « porter une cravate ». Quant à la prise de notes, elle doit se faire avec « des crayons et du papier ». Pas question d’utiliser une tablette ou un ordinateur. Dernière recommandation de ce courrier d’un genre spécial, qu’Henna Virkkunen n’a pas rédigé, mais dont elle a inspiré le contenu : « Ne pas prendre la parole durant les réunions, sauf, bien sûr, pour se présenter (…) ou pour répondre à des questions ».
Pour le reste, depuis qu’elle a pris ses fonctions, le 1er décembre 2024, Henna Virkkunen ne s’est pas fait remarquer. En dehors de son pays, où elle a été ministre à plusieurs reprises, la Finlandaise de 53 ans reste largement inconnue. Pourtant, sur le papier, elle a de grandes responsabilités – la défense, l’espace, la sécurité intérieure, la souveraineté technologique, l’Etat de droit, la protection des consommateurs, la recherche ou les start-up. Quatre commissaires européens – le Lituanien Andrius Kubilius (défense), l’Autrichien Magnus Brunner (migration), la Bulgare Ekaterina Zaharieva (innovation) et l’Irlandais Michael McGrath (justice) – sont sous sa responsabilité et elle a la main sur les dossiers numériques.
En ces temps de guerre en Ukraine, de montée des populismes sur le Vieux Continent, de repli américain ou d’attaques trumpistes sur la régulation numérique européenne, on ne peut pas dire qu’Henna Virkkunen manque de matière. « Elle est inexistante », soupire l’eurodéputée (Renew Europe) Stéphanie Yon-Courtin. Comme tous nos interlocuteurs, l’élue ne peut s’empêcher de la comparer avec son prédécesseur au numérique, Thierry Breton, qui occupait, voire saturait, l’espace et n’hésitait pas à partir au combat quand il le jugeait politiquement utile. Quitte à exaspérer la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, qui a fini par obtenir d’Emmanuel Macron son départ.
« Aucune vision et aucun sens politique »
Très loyale à l’égard d’Ursula von der Leyen, avec laquelle elle partage, en dehors de l’appartenance au Parti populaire européen (PPE), le goût de l’équitation et de la course, elle n’a jusqu’ici jamais pris ses distances avec la ligne de la présidente. Cette dernière savait quel type de profil elle promouvait quand elle l’a choisie. Car Henna Virkkunen n’est pas une inconnue des affaires européennes. Elle a siégé dix ans durant (2014-2024) au Parlement européen, où elle a notamment suivi certains dossiers numériques. Membre de la commission de l’industrie, elle y a évolué dans l’ombre des puissants élus allemands du PPE. « Elle suit les procédures à la lettre, elle est sérieuse, elle est agréable, mais elle ne porte aucune vision et n’a aucun sens politique », commente un haut fonctionnaire européen, qui travaille à son contact.
Des qualités prisées de Mme von der Leyen, qui a un exercice très centralisé de son pouvoir. D’autant qu’elle ne souhaitait pas que la vice-présidente exécutive endosse le rôle plus politique de coordonner les nombreux commissaires issus du PPE, comme le font ses homologues Stéphane Séjourné avec les libéraux et Teresa Ribera côté socialiste. Cette mission-là revient à d’autres : son chef de cabinet, l’Allemand Björn Seibert, le commissaire à l’économie, le Letton Valdis Dombrovskis, et le président du PPE, l’Allemand Manfred Weber.
Henna Virkkunen a parfaitement endossé le rôle que lui a dévolu Ursula von der Leyen. Le 12 novembre 2024, lors de son audition au Parlement européen, qui devait confirmer sa nomination, elle est restée collée à son texte, répétant les éléments de langage que lui avait fournis l’administration de la Commission et reprenant les grands objectifs donnés par la présidente.
Service minimum
A propos du réseau social X, contre lequel la Commission a lancé une enquête pour désinformation, et son patron, Elon Musk, qui a multiplié les agressions contre l’Europe, elle est restée prudente. « Je n’ai pas vraiment d’opinion personnelle sur Elon Musk », répondait-elle, à TF1 le 22 janvier, qui l’interrogeait sur le milliardaire devenu un proche conseiller du président américain, deux jours après l’investiture de Donald Trump.
Attachée au lien transatlantique, Mme Virkkunen veille à ne surtout pas incarner une Europe anti-Gafam. C’est peu dire qu’elle a fait le service minimum, lorsque la Commission a annoncé par voie de simple communiqué de presse, le 23 avril, ses premières amendes – modestes – au titre de la législation sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA), conçue pour empêcher les géants du numérique d’imposer leurs règles. « Nous avons conclu qu’Apple et Meta ont enfreint le DMA », a-t-elle commenté, laconique, sur X.
« On m’a dit que c’est à la demande d’Ursula von der Leyen qu’aucun commissaire n’a souhaité s’emparer du sujet », s’offusque Stéphanie Yon-Courtin. A l’heure où l’Union européenne tente de négocier un accord commercial avec Washington pour éviter des droits de douane prohibitifs, la présidente de la Commission souhaite ménager ses interlocuteurs.
A la mi-mai, Henna Virkkunen s’est rendue aux Etats-Unis, où elle a eu, à en croire ses déclarations, des « échanges constructifs » avec plusieurs patrons de la Silicon Valley. A Washington, elle n’a pas eu accès aux personnalités les plus influentes de l’administration. Elle y a rencontré Brendan Carr, membre de la Commission fédérale des communications, et le républicain Jim Jordan, qui, au Congrès, mène la charge contre la régulation numérique européenne. Avec lui, Henna Virkkunen a eu « un échange franc ».
Virginie Malingre