Actualités
Le Point I Commission européenne : la nomination d’une Américaine suscite la polémique
Fiona Scott Morton a été choisie par la Commission pour surveiller les Gafam et la Britannique Ellen Robson pour diriger le personnel du Parlement européen. Ça ne passe pas !
Au 1er septembre, l'économiste américaine Fiona Scott Morton devrait intégrer la puissante Direction générale de la concurrence, sorte d'État dans l'État au sein de la Commission européenne. La commissaire danoise à la Concurrence, Margrethe Vestager, a choisi cette experte mondiale, qui a déjà travaillé pour l'antitrust américain sous Obama. Sa mission consistera notamment à enquêter sur les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft). Certaines ONG avaient commencé à soulever le problème de cette candidature qui fait scandale à Bruxelles.
D'abord par sa nationalité – l'UE qui s'en remet à une Américaine – mais aussi parce que Fiona Scott Morton avait été consultante de deux clients (Apple et Microsoft) alors qu'elle portait la charge contre Facebook et Google. Elle avait été mise en cause par le magazine américain Prospect en 2020. On lui reproche aussi une tribune de juillet 2019 dans le Washington Post où elle a pris position contre le démantèlement des Big Tech, sans divulguer ses liens financiers avec Apple.
Les conditions même de sa nomination, mardi, lors du dernier collège des commissaires européens soulèvent des questions. Il s'agissait du dernier collège de Margrethe Vestager avant qu'elle ne prenne sa pause estivale et candidate pour la Banque européenne d'investissement (BEI). Un passage en force, appuyé par la présidente von der Leyen, car la nomination a été classée dans les points sans délibération des commissaires. Le lundi qui a précédé, lors de la réunion des cabinets, la nationalité de Fiona Scott Morton a été masquée. Elle ne figure pas sur son CV de 13 pages, lequel n'a été distribué qu'à la dernière minute et sous la forme papier. On y apprend, à la toute fin, que ses missions pour ses clients lui fournissaient des revenus de 1 ou 2 millions de dollars en moyenne… Margrethe Vestager a estimé qu'elle devait être préférée à un candidat espagnol, retoqué.
L'affaire prend une tournure sérieuse quand les politiques s'en mêlent. Catherine Colonna, la ministre des affaires étrangères, dit son « étonnement ». « La régulation du numérique est un enjeu capital pour la France et pour l'Europe. Cette nomination mérite d'être reconsidérée par la Commission européenne », ajoute la cheffe de la diplomatie française. C'est possible car, selon nos informations, le contrat de Fiona Scott Morton n'est pas encore signé. L'eurodéputé Raphaël Glucksmann parle d'un choix « inacceptable ». « Nous avons travaillé d'arrache-pied pour réguler les Gafam, ce n'est pas pour confier l'application de ces règles à leur lobbyiste. No way », tweete-t-il. « Cette nomination est au mieux maladroite, au pire dandegreuse. Dans tous les cas, la Commission doit y renoncer, lance Geoffroy Didier, eurodéputé LR-PPE. À Bruxelles, lorsqu'on sort un lobbyiste par la porte, il revient par la fenêtre. » Fiona Scott Morton prendra en effet son poste au moment de l'entrée en vigueur de la nouvelle législation européenne censée réguler les pratiques concurrentielles (via le règlement DMA) des très grands acteurs numériques dits « gatekeepers » : Alphabet, Amazon, Appel, Byte, ByteDance, Meta, Microsoft, Samsung.
Tout se passe comme si Vestager, avant de partir, avait voulu laisser un dernier cadeau empoisonné à Thierry Breton, son adversaire au sein de la Commission. Le commissaire français est chargé de mettre en œuvre la régulation des Gafam. On ne peut pas dire qu'il soit ravi de l'atteinte à la crédibilité de l'institution que porte cette experte américaine au profil spécial…
Pas de conflit d'intérêts, selon la Commission
Acculée, la Commission a indiqué que la cheffe économiste se mettra « en retrait des dossiers concernant ses anciens employeurs », durant une période de deux ans. « Sa mission à ce poste dure trois ans, donc elle va se mettre en retrait deux années sur trois. Ça n'a pas de sens », s'étouffe-t-on dans les couloirs de la Commission.
Certes, la Commission peut faire appel à des collaborateurs de nationalités extracommunautaires pour des compétences spécifiques ou des raisons linguistiques. Il est tout de même difficile de soutenir que l'Europe ne puisse pas trouver des collaborateurs compétents en son sein en matière de droit de la concurrence sans recourir à la main-d'œuvre américaine. D'autant que le droit américain et le droit européen en matière d'antitrust ne sont pas du tout de même essence des deux côtés de l'Atlantique du fait du fédéralisme.
« La question des ressources se pose à tous les niveaux, observe l'eurodéputée Renew, Stéphanie Yon-Courtin, spécialiste des questions de concurrence. Est-on obligé de recruter chez les Gafam américains ? Si l'on ajoute le pantouflage de certains hauts fonctionnaires de la Commission européenne désormais partis dans des cabinets d'avocats, les géants du numérique sont bien entourés pour naviguer dans le nouvel environnement réglementaire européen… » Manfred Weber et Stéphane Séjourné, les présidents des groupes parlementaires PPE et Renew, adressent un courrier de protestation à la Commission européenne. Stéphanie Yon-Courtin réclame, quant à elle, une audition devant la commission Econ. Ursula von der Leyen va devoir s'expliquer. Elle pouvait s'épargner cette polémique qui l'expose, une fois de plus, à des procès d'intention sur ses accointances avec les États-Unis.
La candidate de la France battue au Parlement européen
Au moment même où la nomination de Fiona Scott Morton était rendue officielle, un autre dossier, plus discret cette fois, au Parlement européen a occupé les Français. Le poste de directeur général du personnel (« DG PERS ») était libre après le départ du Danois Kristian Knudsen. La France convoitait le poste en poussant la candidature de Valérie Montebello, membre de la DG PERS. La représentation permanente de la France à Bruxelles a porté pour cette candidature. Mais, lundi, le bureau du Parlement lui a préféré une Britannique, Ellen Robson, qui était à la direction des actes législatifs.
L'article original ici.