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Le Figaro - Guerre commerciale : comment Bruxelles pourrait riposter en mettant en place une taxe numérique - 14/04/2025

Guerre commerciale : comment Bruxelles pourrait riposter en mettant en place une taxe numérique

En cas d’échec des négociations avec les États-Unis, l’Union européenne pourrait répliquer aux droits de douane de Donald Trump en taxant les géants américains du numérique.  

Pendant la « pause » de 90 jours sur les droits de douane américains décrétée par Donald Trump, l’Union européenne continue de fourbir ses armes de rétorsion. La Commission examine les moyens de taxer les géants américains du numérique, si les négociations avec les États-Unis échouent à éviter une guerre commerciale . Le commissaire européen au Commerce, Maros Sefcovic, était à Washington lundi, pour la troisième fois depuis l’investiture de Donald Trump, pour tenter de trouver un terrain d’entente. 

« L’Europe devra réfléchir à une taxe sur les géants du numérique », déclarait la vice-présidente de la Commission Henna Virkkunen, chargée de la Souveraineté technologique, dans une interview au Figaro , jeudi. La présidente Ursula von der Leyen elle-même renchérissait dans le Financial Times , évoquant une « série de mesures de rétorsion » en cas d’échec des pourparlers. « Par exemple, on peut introduire une taxe sur les revenus publicitaires des services numériques », estimait-elle, visant, sans les citer, des entreprises comme Meta (Facebook), Google, ou X (ex-Twitter). La fédération syndicale Uni Europa a écrit à plusieurs dirigeants de la Commission pour réclamer la mise en place d’une « taxe Amazon » à l’encontre des géants américains, qui bénéficient d’un niveau d’imposition « deux fois et demie moins élevé que leurs concurrents européens ».

Le sujet d’une « taxe Gafam » (en référence à Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) européenne est un serpent de mer depuis au moins 2018. Il revient en force dans le contexte de la guerre des droits de douane déclenchée par Donald Trump pour lutter contre le déficit commercial américain. Or, si les États-Unis sont en effet en déficit avec l’Union européenne pour les marchandises, ils affichent un excédent dans les services, sur lesquels pourrait se concentrer la riposte de Bruxelles. Parmi les nombreux obstacles pratiques et juridiques, à la différence des droits de douane, qui s’appliquent à la majorité qualifiée, la taxation est un domaine qui relève de l’unanimité. La frilosité de certains pays, comme l’Irlande, siège européen de nombreux géants américains, du Luxembourg, ou les positions pro-Trump d’autres, comme la Hongrie ou l’Italie, rendent une telle mesure hypothétique.

« Tout à fait possible » de taxer Netflix, selon Éric Lombard

Pour contourner cet écueil, Bruxelles envisage de riposter aux Américains en dégainant son instrument anticoercition , adopté en 2023 pour résister aux attaques de la Chine, qui n’a jamais servi. Selon nos informations, les ambassadeurs des Vingt-Sept en ont débattu en fin de semaine dernière. La France, l’Allemagne, l’Espagne et la Belgique se sont prononcées pour. L’outil permettrait notamment d’imposer des droits de douane aux fournisseurs américains de services. La procédure nécessiterait un vote à la majorité qualifiée pour constater qu’il y a coercition. L’application des contre-mesures se ferait ensuite à la majorité qualifiée inversée : à savoir qu’il faudrait réunir quinze États représentants 65% de la population européenne pour s’y opposer.

Emmanuel Macron a évoqué l’idée de viser les géants américains des services numériques. Selon le ministre de l’Économie, Éric Lombard, il serait « tout à fait possible » de taxer, par exemple, Netflix dans ce cadre. « La Commission va faire des propositions. Ensuite, il y aura une conversation à vingt-sept pour déterminer le paquet qui pourrait s’appliquer quelque part en mai », a-t-il précisé, dimanche, sur BFMTV. Prudent, son homologue allemand, Jörg Kukies, a appelé les Vingt-Sept à se montrer « nuancés et différenciés » pour ne pas s’affaiblir dans les services où il n’existe pas d’alternative européenne, notamment le cloud et les data centres. Pour Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée Renew, « il faut qu’on soit prêt d’ici 90 jours ». « Le numérique est la corde sensible des Américains : il faut jouer là-dessus, car il n’y a que ça qui marche. Le fait qu’ils aient lâché sur les iPhone et les ordinateurs montre bien leur faiblesse », affirme-t-elle au Figaro.

Une taxe qui pourrait rapporter 37,5 milliards d’euros

Avant même la mise en place d’une telle taxe, la détermination de la Commission européenne face à l’Administration américaine se mesurera à l’aune des sanctions qu’elle pourrait prendre contre Apple, Meta, Google et X, dans le cadre des enquêtes sur des infractions aux réglementations sur les marchés numériques (DMA) et sur les services numériques (DSA). Des décisions attendues « dans les semaines à venir », selon la commissaire Virkkunen, mais sans cesse reportées de peur de déclencher l’ire de Donald Trump et des oligarques de la tech qui le soutiennent.

L’idée d’une taxe numérique avait déjà agité les relations entre l’Europe et les États-Unis durant le premier mandat de Donald Trump. La Commission l’avait évoquée dès 2018. La France avait été, en 2019, le premier pays à en mettre en place. Ce qui avait valu à Macron d’être taxé de « stupidité » par Donald Trump, avant que la mesure ne soit suspendue en 2020. À l’arrivée de Joe Biden, il avait été décidé que le projet de taxe européenne se fondrait dans les négociations lancées à l’OCDE pour une taxation mondiale des multinationales dans les pays où elles réalisent leur chiffre d’affaires. Jamais ratifié par Washington, le processus est désormais enlisé. Cinq pays européens - la France, l’Espagne, l’Italie, l’Autriche et le Royaume-Uni - ont mis en place des taxes nationales en attendant. Le nouveau gouvernement belge en a inscrit une à son programme pour 2027. Au niveau européen, une taxe de 5% sur les services numériques pourrait générer 37,5 milliards d’euros, soit 20% du budget annuel de l’UE, selon l’European Capital Markets Institute (ECMI).

Florentin Collomp