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Contexte I Que doit craindre la France des nouvelles règles budgétaires européennes ? - 18.04.2024

Le programme de stabilité, présenté le 17 avril, confirme que le déficit français sera en dehors des clous européens jusqu’en 2027. Malgré l’adoption imminente de critères budgétaires plus souples, l’ouverture d’une procédure de déficit excessif semble inévitable. Elle pourrait porter atteinte à la crédibilité de la France.   

Cette fois, ce n’est plus pour du beurre. Partiellement suspendues depuis 2020 et l’apparition du Covid, les règles du pacte de stabilité et de croissance sont rétablies depuis le début de l’année 2024. Elles s’apprêtent par la même occasion à faire leur mue, après une longue négociation à Bruxelles. C’est dans ce contexte de transition que le gouvernement français a présenté mercredi 17 avril son programme de stabilité. Il a confirmé un scénario déjà annoncé : la France sera au-dessus des 3 % de déficit, et ce, jusqu’en 2027.   

La mécanique européenne d’examen des finances publiques est bien connue à Paris. La France est restée en procédure de déficit excessif entre 2009 et 2018, contrainte de suivre une trajectoire de réduction de ses dépenses et de sa dette négociée avec Bruxelles. Mais cette nouvelle saison comportera quelques nouveautés liées à la réforme des règles budgétaires. Le paquet de textes révisant le pacte de stabilité et de croissance devrait être publié d’ici au début du mois mai, après un ultime vote au Parlement européen, le 23 avril.   

« Sûr à 99,99 % » 

Malgré la révision des règles, l’ouverture cette année d’une procédure pour déficit excessif à l’encontre de la France semble quasi certaine, selon plusieurs sources interrogées par Contexte. « C’est sûr à 99,99 % », affirme Zsolt Darvas, économiste associé au think tank bruxellois Bruegel. Car la logique reste la même qu’avant, les deux critères historiques sur la dette et le déficit public (déficit public à 3 % du PIB, dette à 60 % du PIB), gravés dans les traités, sont maintenus.   

Selon nos informations, l’exécutif attendra le mois de juin pour ouvrir les procédures de déficit excessif. « Jamais la Commission ne lance une procédure avant les élections européennes, elle ne le fait même pas en période d’élection nationale », souligne une source française.   

Dans le nouveau système, les conséquences d’un placement sous surveillance budgétaire changent peu par rapport à l’ancien cadre. Si une procédure est effectivement ouverte cette année à l’encontre de la France, celle-ci devra réagir dans un délai de six mois pour montrer qu’elle suit les recommandations qui lui ont été faites, sous peine d’amende. Elle sera aussi tenue de réduire annuellement son déficit d’au moins 0,5 % du PIB. Pour la dette, le texte ne prévoit plus de réduction minimale, la trajectoire doit être décidée au cas par cas. La nouvelle mouture du cadre laisse donc une plus grande marge de négociation à la France.   « Les discussions avec la Commission vont commencer en juin et probablement s’étirer jusqu’à l’automne, on verra ce qu’il sortira de tout ça », indique, prudente, une source à Bercy.   

Cette année, le nombre de pays en situation de déficit excessif en raison de leurs réponses aux crises du Covid et de l’énergie pourrait jouer en faveur de la France. « Il est clair qu’on n’est pas dans les clous, mais on n’est pas les seuls », affirme la même source. D’après Zsolt Darvas, une dizaine d’autres États pourraient être concernés, si l’on se réfère aux prévisions économiques de la Commission publiées l’automne dernier.   

Dans les échanges entre Paris et Bruxelles, la menace de sanction ne devrait pas peser plus lourd qu’avant. La Commission n’a jamais appliqué d’amendes depuis la création du pacte de stabilité et de croissance. Comment imposer des sanction à plusieurs milliards d’euros à un pays déjà en proie à un déficit excessif ? Dans les nouvelles règles, leur montant a été réduit dans l’espoir de les rendre plus crédibles. Mais la probabilité qu’elles soient appliquées reste minime car c’est toujours au Conseil de les valider, rappelle Zsolt Darvas. « Ce sont les accusés qui se jugent entre eux ! Un ministre des Finances qui vote la sanction d’un pays peut avoir en tête qu’il pourrait se trouver dans la même situation dans trois ans. » La France devrait donc rester tranquille de ce côté-là.   

Cas par cas 

En parallèle de la procédure de déficit excessif, la France s’apprête aussi à entrer en négociation avec Bruxelles sur le volet préventif, davantage chamboulé par la réforme. Les nouvelles règles officialisent la marge de négociation qui existait de fait dans l’ancien système. Chaque État est appelé à négocier avec la Commission une trajectoire nationale, selon une approche au cas par cas qui se veut plus flexible qu’avant.   

D’ici au 21 juin, la Commission va transmettre à chaque État des recommandations. Elles comprendront une « trajectoire de référence » de retour à l’équilibre. Sur cette base et à l’issue d’un jeu de négociation avec Bruxelles, la France doit soumettre avant le 20 septembre son plan budgétaire de moyen terme, dans lequel elle précisera ses engagements pour les quatre prochaines années.   

Négociatrice pour le Parlement européen, l’eurodéputée socialiste portugaise Margarida Marques juge que ce nouveau système permettra de mieux prendre en considération la situation de chaque pays. « La différence énorme, c’est le cas par cas et la flexibilité pour les investissements », assure-t-elle. Si un État investit dans la transition verte, le numérique ou encore la défense, il pourra demander de lisser les efforts demandés sur sept ans, et non plus quatre.  

« On va tenir compte de la situation de chaque État, mais est-ce qu’on ne le faisait pas déjà avant ? », s’interroge Jérôme Creel, directeur d’études à l’Observatoire français des conjonctures économiques.   

La France, habituée à négocier avec la Commission lors des précédentes procédures de déficit excessif, en sait quelque chose. Au cours des années 2010, Paris a obtenu à plusieurs reprises des délais pour se conformer à la trajectoire préconisée par Bruxelles. À l’époque, la Commission européenne avait fait preuve d’une certaine indulgence à l’égard de la France… « parce que c’est la France », selon les mots de l’ancien président de l’exécutif Jean-Claude Juncker.   

Fort de cette expérience, Paris pourrait profiter des marges de négociation prévues par les nouvelles règles. « Le principe de la réforme est d’autoriser des temps et des évolutions plus adaptées à la situation des différents pays, on va voir comment ces flexibilités vont se mettre en œuvre », indique-t-on à Bercy.   

Il faudra également voir comment la Commission « digère » les nouvelles règles, souligne Jérôme Creel. Et observer comment elles seront interprétées par les commissaires chargés du dossier – le socialiste italien Paolo Gentiloni, commissaire à l’Économie, et le conservateur letton Valdis Dombrovskis, vice-président exécutif.   

Preuves d’amour Malgré cette marge de manœuvre accrue, la France pourrait tout de même être pénalisée par le nouveau cadre de gouvernance économique, juge un expert interrogé par Contexte. « La négociation n’a pas été suffisante, les règles sont très contraignantes pour la France […] dans une mesure qu’elle semble aujourd’hui relativement incapable de respecter. » Et, selon lui, le dérapage budgétaire français pourrait plomber les propositions défendues par la France à Bruxelles, en particulier l’idée d’un emprunt commun pour financer la défense.   

« La France va effectivement devoir donner quelques preuves d’amour à ses partenaires européens pour montrer son sérieux. Mais la crédibilité d’un pays ne se résume pas à des chiffres à un instant T, et c’est justement l’esprit des nouvelles règles », nuance l’eurodéputée Renew Stéphanie Yon-Courtin, membre de la commission des Affaires économiques. Un diplomate européen juge que le cas français sera plus problématique à partir de l’an prochain. Le club des mauvais élèves sera alors plus restreint. Ne devraient rester plus que la France, la Slovaquie, la Roumanie ou encore la Belgique, estime Zsolt Darvas, du think tank Bruegel. Plus isolée, la France pourrait être plus facilement mise à l’index.

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