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Le Point-Porno en ligne : la débandade française-22/06/2025

Vingt jours après leur départ, les sites pornographiques reviennent en France après une décision de justice. Un nouvel échec pour Paris...
Le 20 juin 2025, Pornhub, YouPorn et Redtube font leur retour triomphal auprès des internautes français. L'écran noir n'aura duré qu'une vingtaine de jours. L'éditeur canadien Aylo a réactivé ces trois plateformes pornographiques en France après que le tribunal administratif de Paris ait suspendu l'arrêté contraignant les sites pour adultes situés dans un autre État membre de l'UE à vérifier l'âge de leurs utilisateurs. Un nouveau camouflet qui sonne le glas de la stratégie nationale du gouvernement Bayrou et démontre qu'uniquement une approche européenne coordonnée peut éventuellement relever ce défi titanesque.
L'éditeur canadien Aylo, cette multinationale tentaculaire du divertissement pour adultes, ce sont 1000 salariés et des bureaux à Hambourg, Londres, Montréal, Los Angeles, Miami, Houston et Nicosie... Le mastodonte du sexe sur vidéo savoure son triomphe judiciaire et fait la leçon au gouvernement : « Pour progresser efficacement, le législateur doit comprendre que les contenus pour adultes prolifèrent sur des centaines de milliers de sites Internet, et pas seulement sur les 17 plateformes désignées par l'arrêté ministériel du 26 février 2025. »
L'impasse de l'approche nationale française
Paris avait opté pour la confrontation directe : blocage pur et simple des plateformes pornographiques qui refusent de vérifier rigoureusement l'âge de leurs visiteurs. Début juin 2025, confrontés à ces mesures coercitives, Pornhub, RedTube et YouPorn avaient préféré se retirer temporairement de France plutôt que de se conformer à la législation hexagonale. Clara Chappaz, ministre déléguée au Numérique, y percevait un premier succès tactique. Le revers est d'autant plus vexant.
Car les déboires judiciaires s'accumulent pour la France qui a pris, avec l'Espagne et la Grèce, le leadership sur cette problématique sensible. Déjà en mai 2025, la cour d'appel de Paris avait invalidé les décisions de blocage de xHamster et Tukif, invoquant le « principe européen du pays d'origine ». La magistrature rappelle une réalité juridique incontournable : l'Hexagone ne peut imposer unilatéralement ses règlementations à des plateformes établies dans d'autres pays de l'UE. L'exécutif a annoncé son intention de contester cette décision devant le Conseil d'État, mais le préjudice est consommé : la France bute contre le droit européen.
L'urgence d'une riposte européenne
Au-delà de la pornographie, les mineurs sont exposés à toutes sortes de dérives numériques. « Les contenus toxiques en ligne, c'est la cigarette 3.0 », lance Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée Renew et rapporteure spéciale sur la protection des mineurs en ligne. L'exposition précoce des enfants aux contenus pernicieux - pornographie, promotion de l'anorexie via SkinnyTok, achats compulsifs - constitue, pour l'UE, un enjeu de santé publique majeur qui nécessite une réponse orchestrée au niveau continental.
« On ne peut pas l'accomplir au niveau national. Si on procède au niveau français, on risque de reproduire cequi s'est passé pour la loi SREN (Sécuriser et réguler l'espace numérique, NDLR) », s'inquiète Sophie
Yon-Courtin. La Commission européenne a, en effet, prononcé une mise en garde contre cette loi dont certaines dispositions sont contraires au droit européen.
La fragmentation européenne actuelle
Dans une missive datée du 18 juin, douze États membres à l'initiative de la France - Autriche, Croatie, Chypre, Danemark, Grèce, Irlande, Italie, Slovaquie, Slovénie, Espagne et la Fédération Wallonie-Bruxelles - interpellent la Commission européenne. Les Douze exigent d'intégrer la vérification d'âge obligatoire dans la mise en oeuvre de l'article 28 du Digital Services Act (DSA), le règlement censé réguler les contenus en ligne. « La crise de santé mentale de nos enfants a atteint un seuil critique », alertent les ministres. Ils dénoncent « l'expansion anarchique des plateformes qui privilégient l'engagement sur la sécurité des enfants ».
En attendant une coordination européenne, chaque nation expérimente individuellement. L'Espagne développe son « pajaporte » - 30 clés d'accès mensuelles via un portefeuille numérique gouvernemental. L'Allemagne a homologué plus de 100 méthodes de vérification d'âge. L'Italie mise sur son identité numérique SPID avec « double anonymat ».
Chacun rejette la responsabilité sur l'autre
Cette mosaïque d'approches nationales hétérogènes, loin d'être une force, révèle la vulnérabilité européenne face aux géants du numérique. La disproportion des ressources entre l'Europe et les mastodontes technologiques ne présage pas un rapport de force équilibré. « Google m'indique qu'ils déploient 15 groupes de travail de 7 personnes rien que pour traiter le règlement DMA (le règlement de concurrence loyale sur le Net, NDLR). À la Commission, nous disposons de 85 personnes pour l'intégralité du secteur numérique, s'alarme Stéphanie Yon-Courtin. C'est véritablement l'affrontement David contre Goliath. »
Les plateformes temporisent et se défaussent mutuellement. Une campagne publicitaire récente de Google et Apple prône ironiquement... davantage de réglementations européenne pour protéger les enfants. « Personne n'endosse sa responsabilité. L'interrogation fondamentale demeure identique : qui va l'accomplir, comment et pourquoi ? », fulmine l'eurodéputée.
Des « lignes directrices » attendues en juillet
La Commission européenne élabore sa contre-offensive. La protection des mineurs en ligne est régie par l'article 28 du Digital services act. Selon cet article, les plateformes accessibles aux mineurs doivent adopter des « mesures appropriées » pour leur sécurité et proscrire la publicité ciblée pour les mineurs identifiés. Le règlement stipule qu'elles ne sont pas contraintes de collecter davantage de données pour vérifier l'âge. Des « mesures appropriées » ? Formulation trop évasive du législateur européen. C'est donc la Commission qui va publier, en juillet, des « lignes directrices" pour clarifier ce texte. Les 12 États membres souhaitent y incorporer la vérification d'âge obligatoire. Seulement, les « lignes directrices » de la Commission demeureront « indicatives », dépourvues de force contraignante.
L'eurodéputée Yon-Courtin prône une approche plus radicale dans son rapport d'initiative au Parlement européen : « Interdiction des réseaux sociaux pour les moins de 15 ans, sauf accord préalable et explicite des parents. » Il s'agirait de responsabiliser les familles tout en évitant une prohibition pure difficile à faire accepter. Revenir à la base : l'éducation. C'est plus long...
Par Emmanuel Berretta