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L'Opinion I Le départ de Stéphane Séjourné fragilise l’influence française au Parlement européen
Les eurodéputés de la majorité présidentielle se retrouvent exceptionnellement ce week-end pour discuter de la suite après le départ de leur président.
Depuis des mois, Stéphane Séjourné, président du groupe Renew, refusait de confirmer son statut de candidat naturel comme tête de liste aux élections européennes. Sa nomination, jeudi soir, comme ministre de l’Europe et des Affaires étrangères ne surprend donc pas vraiment. « Il voulait autre chose, il a joué la montre à fond, et ça a payé », glisse un observateur de la politique européenne.
« Quitter le groupe n’était pas une décision facile », a dit Stéphane Séjourné à ses eurodéputés, dans un mail envoyé jeudi que l’Opinion a pu consulter. « J’ai refusé de nombreuses fois durant mon mandat ».
« Cela donne l'impression d’un abandon en rase campagne », observe Nora Mebarek, cheffe de la délégation française des Socialistes et Démocrates (S&D), la deuxième force du Parlement européen. « Qu’on puisse quitter sa mission de président de groupe de cette manière-là, à cinq mois d’une élection décisive pour l’avenir du continent et de notre pays, est le signe que le macronisme, contrairement à ce qu’il prétend, ne prend pas l’Europe au sérieux », tacle de son côté François Xavier Bellamy, vice-président des Républicains et probable tête de liste de LR, vendredi sur France Inter.
« Les retours que j’ai de mes collègues au Parlement européen, y compris au sein de son propre groupe [Renew], sont désastreux », ajoute-t-il. Le capitaine abandonne-t-il son navire ? « Nous ne sommes pas un bateau isolé, mais une flottille de grands navires », rétorque Fabienne Keller, eurodéputée et questeur de Renew. Stéphane Séjourné « est monté dans le bateau d’à côté, qui est celui du gouvernement, le navire amiral de la flotte, mais il est vigilant à ce que nous naviguions bien, et l’équipage s’organise ».
Il laisse en tout cas un grand vide derrière lui, et provoque une période de flottement pour Renew. En 2021, Stéphane Séjourné avait réussi à obtenir la présidence du groupe, auparavant dirigé par le Roumain Dacian Ciolos. Il était « le seul Français à avoir un poste à responsabilité dans l’appareil politique et décisionnaire du Parlement européen ; son départ ne pourra que réduire une influence française déjà assez marginale au sein des groupes politiques de la majorité », souligne un eurodéputé socialiste.
Après sa démission, jeudi soir, Malik Azmani, vice-président néerlandais de Renew, est devenu président par intérim. « Il a su imposer Renew comme troisième force du Parlement européen, sans laquelle aucune majorité n’était possible, alors qu’on aurait pu avoir un groupe complètement divisé », rappelle l'eurodéputée Renaissance Stéphanie Yon-Courtin.
Le groupe Renew est composé de 104 libéraux et centristes de 24 pays différents, et possède « moins d’esprit de discipline de groupe que chez les Socialistes et le Parti Populaire européen (PPE, droite) », souligne Valérie Hayer, coprésidente de la délégation française de Renew. Rien qu’au sein de cette dernière, composée de 29 membres, on trouve « des profils politiques et socioculturels très différents », ajoute Stéphanie Yon-Courtin : Renaissance, Modem, Agir, Territoires de progrès, Horizons et le Parti radical, sans parler d'anciens écolos comme Pascal Canfin. A l’étranger, Stéphane Séjourné a « soutenu de nombreux candidats Renew dans leur propre pays », ajoute-t-elle. « C’est sûr, l’influence ne se décrète pas, c’est du travail, et François-Xavier Bellamy le sait très bien, vu le peu d’influence des Français au PPE ».
Cartouche. Concrètement, deux questions se posent pour les eurodéputés privés de leur capitaine. Primo, faut-il nommer un autre président français à la tête de Renew, ou perdre cet avantage en laissant aux Néerlandais la présidence par intérim jusqu’aux élections ? En tout cas, « le groupe Renew sera probablement à l’arrêt, et sa position amoindrie dans le Parlement, sur les textes législatifs qui vont arriver, car en quatre mois, [c’est très difficile] de retrouver des modalités de travail avec un autre président de groupe », estime Nora Mebarek. « Ce n’est pas un moment décisif, car nous allons tous entrer en campagne et le gros des tractations politiques est derrière nous », rétorque un eurodéputé Renew. En outre, celui ou celle qui serait président pour si peu de temps n’est « pas à l’abri » de griller sa cartouche.
Deuzio, qui sera la tête de liste ? Jeudi et vendredi circulait l’hypothèse d’Olivier Véran, ex-porte-parole du gouvernement. Si cela était confirmé, ce serait le seul candidat, avec Marion Maréchal (Reconquête!), à faire campagne sans avoir d’expérience européenne, au contraire de Jordan Bardella (RN), François-Xavier Bellamy (LR), Marie Toussaint (EELV), ou Manon Aubry (LFI, encore non confirmée). D'ailleurs, à Bruxelles, plusieurs eurodéputés Renew ne se consument pas d'enthousiasme pour cette hypothèse, et préfèrent vanter celle de Clément Beaune, ex-conseiller Europe d’Emmanuel Macron qui fut également secrétaire d’Etat en charge de l’Europe. « Beaucoup de personnes lui écrivent pour lui dire qu’il faudrait y aller », indique l’un de ses proches. Evoqués l'année dernière, les noms de Laurence Boone, actuelle secrétaire d'Etat aux affaires européennes, et Pascal Canfin, président de la commission environnement au Parlement européen, sont moins cités.
Plan B. Quant au commissaire au marché intérieur Thierry Breton, son nom continue d'être mis en avant. La tête de liste Renew augmenterait ses chances d'accéder à la présidence de la Commission européenne, dans l'hypothèse, peu probable, où Ursula von der Leyen renoncerait à un second mandat. Le Français est friand de l'expression « Plan B, comme Breton ». Interrogé sur le sujet, jeudi, lors d’une rencontre avec des correspondants européens, il a répondu que son expérience l’aidait à « articuler, diriger, avoir la passion des interactions », et qu’il « adorait les discussions avec les eurodéputés, avec les Etats membres ». « Puisque je suis aussi un vieux politicien, je sais plutôt bien comment ça marche, a-t-il ajouté. On n’a pas ce type de position [des top jobs européens], avec un siège par Etat membre, parce qu’on dit postuler. On travaille jusqu’à la ligne d’arrivée. Jusqu’ici je n’ai jamais attendu de faire autre chose que ce que j’étais en train de faire, et ça a marché ».
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