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Le Figaro I Euro numérique : à quoi servira la nouvelle monnaie européenne ?

Paru le 11/07/2022

Par Elsa Trujillo 

DÉCRYPTAGE - Face au recul des espèces et à l'essor des cryptomonnaies en Europe, la Banque centrale européenne élabore une monnaie unique dématérialisée. 

Il devrait, à terme, constituer une alternative aux espèces, aux paiements électroniques et aux cryptomonnaies. L'euro numérique, porté par la Banque centrale européenne (BCE), traverse une phase expérimentation. Il ne devrait pas voir le jour avant l'année prochaine, mais les fondamentaux sont déjà là : équivalent d'un «billet numérique», cette monnaie serait adossée à l'euro et se prêterait aux transactions du quotidien. Qu'attendre réellement de cette nouvelle monnaie ? Qui pourra l'utiliser ? Quels seront ses avantages et ses risques ? 

Pour Jean-Pierre Landau, ancien sous-gouverneur de la Banque de France et auteur d'un rapport adressé au Parlement européen sur l'euro numérique, «cet euro numérique pourra être utilisé comme du cash. Les fonctionnalités seront quasiment les mêmes. Et on pourra en disposer sans même avoir de compte en banque». Il sera possible d'effectuer des paiements rapidement, facilement et en toute sécurité. Le tout de façon dématérialisée, à l'heure où les transactions en espèces ne cessent de régresser. «Il faut chercher à reproduire dans l'univers numérique ce que l'on a aujourd'hui dans l'univers physique», résume-t-il. 

Dépoussiérer l'Euro 

Le projet répond à plusieurs impératifs : moderniser la monnaie de la banque centrale, pour en proposer une version numérique; préserver la souveraineté monétaire européenne, à l'heure où les géants des nouvelles technologies et acteurs des cryptomonnaies viennent s'immiscer dans le paiement. Le projet avorté de monnaie privée de Facebook, annoncé en 2019, a fait office de catalyseur. Il aura laissé augurer la mise à disposition, auprès de plus de deux milliards d'utilisateurs, d'un moyen de paiement échappant à toute autorité publique. Le Libra, devenu Diem avant d'être définitivement mis de côté par l'entreprise américaine, a rapidement suscité une levée de boucliers en Europe, accélérant la réflexion sur l'euro numérique. 

La différence avec un simple paiement électronique semble au premier abord mince. Elle s'avère inexistante aux yeux de Maya Atig, directrice générale de la Fédération bancaire française (FBF), opposée au projet. « L'euro des banques commerciales que nous utilisons tous est déjà de l'euro numérisé, et l'euro est un et indissociable. L'euro numérique créerait plus de problèmes qu'il n'apporterait de solutions car il introduirait des confusions», déplore Maya Atig. «Vous ne sauriez plus ce que vous devriez utiliser. Ce qui ouvrirait un risque d'instabilité financière», poursuit la porte-parole des banques. 

Un complément aux espèces 

Quels avantages, dans ces conditions, à recourir à cette monnaie ? «L'euro numérique constituera une alternative fiable aux espèces, sans les remplacer», explique Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée, vice-présidente de la Commission des affaires économiques et monétaires (ECON) du Parlement européen. «I l pourra, au-delà des transactions du quotidien, en ligne ou directement auprès d'un commerçant, se prêter à des virements transfrontaliers, qui sont généralement chronophages et coûteux. Il s'agit tout simplement de ne pas laisser aux géants de la tech le pouvoir de battre monnaie». « La principale raison d'être de l'euro numérique est de préserver le rôle de l'argent public dans une économie numérique », complète Jean-Pierre Landau. 

Surtout, contrairement aux cartes bancaires fournies par les banques, cet e-euro aura l'avantage d'être gratuit. Il ne sera pas confiscable, à la différence de certaines monnaies numériques. Le géant des prêts en cryptomonnaies Celsius, sur fond de soupçons d'insolvabilité, s'est récemment illustré par le gel complet des avoirs sur sa plateforme. 1,7 million de clients sont concernés, et dans l'impossibilité de remettre la main sur leurs fonds. 

Des enjeux de vie privée 

L'expérimentation en cours devra dissiper plusieurs zones d'ombre. Dont la distribution de cette devise, qui pourrait impliquer les banques commerciales, la technologie à utiliser pour sous-tendre les transactions ou encore le respect de la vie privée garanti par cet euro numérique. Ce dernier fait figure de préoccupation numéro un. Les espèces, aussi obsolètes puissent-elles sembler, ont un avantage indéniable: la confidentialité. Or, en théorie, la BCE pourra garder une trace des transactions effectuées en e-euros. Plusieurs pistes sont envisagées, dont celle de garantir une forme d'anonymat pour les transactions d'un montant négligeable. 

La banque centrale se défend par ailleurs de toute velléité commerciale, à rebours des géants de la tech, qui monnaient leurs données de paiement à prix d'or. «L'Eurosystème n'a aucun intérêt à recueillir les données concernant les paiements des utilisateurs, à surveiller les comportements en matière de paiement ou à partager de telles données avec des agences gouvernementales ou institutions publiques», argue la BCE. 

Pour Jean-Pierre Landau, le débat sur la question devra être démocratique avant d'entrer dans toute forme de technicité. «Le sujet est passionnant mais reste traité de manière cavalière», regrette-t-il. «Les impératifs de politique publique – lutte contre le terrorisme, le blanchiment d'argent et la fraude fiscale - sont certes très importants mais ne doivent pas prendre le pas sur la confidentialité des transactions. Le cash physique est foncièrement privé. Le cash numérique doit être conçu comme tel.» 

Enfin, et pour dissiper les inquiétudes des banques commerciales, la BCE envisage de plafonner le volume d'euros numériques disponibles par portefeuille. Les banques s'alarment de voir fondre les dépôts bancaires au profit de nouveaux portefeuilles virtuels libellés en euros numériques. «Le mécanisme est aujourd'hui simple : les dépôts financent les crédits», rappelle Maya Atig. «Si le portefeuille d'euronumérique est inscrit au bilan de la BCE, et si les clients utilisent moins leur compte courant pour y effectuer des dépôts, cela affaiblira nécessairement les capacités de crédit des banques commerciales, au moment où les transitions numériques et énergétiques en auront plus besoin que jamais.» De premiers éléments de réponse devraient être apportés avant la fin de l'année. 

Elsa Trujillo occupe les fonctions d'adjointe de l'Ambassadeur pour les affaires numériques, Henri Verdier, au sein du Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères (gouvernance d'internet, stabilité du cyberespace, communs numériques).

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