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L'Opinion - La menace Elon Musk ébranle l'Europe - 07/01/2025
Les dirigeants européens s'inquiètent de la concentration de pouvoirs économique, politique et informationnel entre les mains du milliardaire américain, qui interfère dans les élections et affaires internes de plusieurs pays.
Imaginez : un homme ayant l’oreille du futur président des Etats-Unis, bientôt haut placé dans son administration, possédant une plateforme (X, ex-Twitter) utilisée par 110 millions d’Européens – près du quart de la population de l’Union – qui use de celle-ci pour interférer dans les élections de plusieurs pays, et qui, en outre, détient un réseau de satellites dont ces Etats dépendent pour leurs communications... Ingérences. Ces jours-ci, les leaders européens prennent la mesure de la menace Elon Musk. Ils seraient sûrement moins timides s’il s’agissait d’un entrepreneur russe ou chinois. Emmanuel Macron s’étonne que « le propriétaire d’un des plus grands réseaux sociaux du monde [soutienne] une nouvelle internationale réactionnaire et [intervienne] directement dans les élections ». C’est en Allemagne, en pleine campagne électorale, que l’ingérence est la plus claire. Le pays a beau accueillir la plus grande usine européenne de Tesla, le milliardaire américain traite Olaf Scholz de « fou » et « d’imbécile incompétent », et le président allemand de « tyran ». « Seule l’AfD peut sauver l’Allemagne », a écrit Elon Musk sur le réseau social X, acheté en 2022, avant de détailler son soutien à l’extrême droite dans une tribune à Die Welt. Nouveau fait d’armes : une discussion en ligne jeudi prochain sur X avec la cheffe de file de l’AfD Alice Weidel. Probablement poussée en ligne vers ceux qui ne s’intéressent ni à la politique, ni à Elon Musk, ni à l’extrême droite, elle risque de donner un avantage concurrentiel à un parti dans l’élection de la première puissance européenne. Mais la Commission européenne ne vérifiera cela qu’après coup, quand le mal sera fait. Ingérence. Un autre pays clé pour l’Union s’apprête à voir s’opposer dans les urnes une extrême droite forte à des partis proeuropéens : la Pologne. Des élections seront aussi réorganisées en Roumanie du fait d’ingérences russes, et se tiendront aussi en Irlande, en République tchèque, en Croatie, dans plusieurs régions italiennes et dans les comtés britanniques, en Géorgie, en Moldavie, en Norvège… Le premier ministre norvégien Jonas Gahr Støre s’étonne « qu’un homme avec un énorme accès aux médias sociaux et des ressources économiques énormes s’implique directement dans les affaires internes d’autres pays. Cela devrait être autrement entre démocraties et alliés ». Alliés, c’est ce que sont historiquement le Royaume-Uni et les Etats-Unis. Mais le premier ministre britannique Keir Starmer est la cible d’invectives, insultes et fausses informations répétées du milliardaire américain. Or, dans les capitales européennes, on remarque que jusqu’ici l’administration Trump n’a pas démenti ou minoré les propos d’Elon Musk, ni cherché à clarifier si ce dernier parlait comme homme politique, homme d’affaires ou modeste citoyen. Pour le moment, il jette son dévolu sur les gouvernements sociaux-démocrates et travaillistes, et les pays en période électorale. Terreur numérique. « Elon Musk utilise Twitter comme un véhicule de propagande de sa propre idéologie, où il développe une terreur numérique. Il utilise X comme son journal de 20 heures au niveau mondial, il définit la ligne éditoriale, l’agenda politique, lance des opérations de déstabilisation de gouvernements européens, en visant clairement ceux qui n’appartiennent pas à sa famille politique », dénonce Aurore Lalucq (Place publique), présidente de la commission des affaires économiques au Parlement européen. « On ne tolérerait pas ce qui se passe avec ce réseau s’il appartenait au gouvernement chinois ». « Quelle que soit sa nationalité ou ses opinions, un acteur privé aussi puissant ne peut agir de manière aussi directe dans les affaires internes de pays souverains », critique le ministre de l’Europe Benjamin Haddad. Or, alors que la Commission européenne a ouvert une procédure d’infraction contre TikTok, elle n’est pas allée jusque-là avec X, ouvrant simplement une enquête en décembre dernier, sans suites depuis. L’institution ne veut pas donner raison à l’extrême droite qui l’accuse de brider la liberté d’expression. « M. Musk a le droit de donner ses avis personnels sur la politique dans l’UE, même s’il y a certaines limites quand la plateforme est mal utilisée », selon un porte-parole. « Plus nous en parlons, plus nous le promouvons », ajoute un autre. Surpuissant. Outre la question de l’ingérence, Elon Musk pose un problème plus grave encore de concentration des pouvoirs. « S’il n’avait que X, cela m’inquiéterait beaucoup moins », confie Alexandre de Streel, directeur académique du programme de recherche numérique au sein du Centre sur la régulation en Europe (CERRE), un think tank bruxellois. « Mais son réseau de satellites Starlink est géopolitiquement essentiel pour certains pays, et pour la guerre en Ukraine ». Lundi, l’agence Bloomberg a révélé que l’Italie négociait un giga contrat pour que la société SpaceX opère les services de cryptage des communications du gouvernement de Giorgia Meloni. La dirigeante d’extrême droite a raillé samedi les dirigeants qui voyaient Musk « hier comme un génie et aujourd’hui comme un monstre » du fait de son camp politique. Pour Alexandre de Streel, le milliardaire « représente l’élite Tech qui est en train de prendre le pouvoir à Washington. On assiste à une concentration de pouvoirs économique, politique et désormais informationnel inquiétante chez la première puissance mondiale ». Le ministre allemand de l’économie Robert Habeck juge aussi que « la combinaison d’une énorme richesse, du contrôle de l’information et des réseaux, de l’utilisation de l’intelligence artificielle et de la volonté d’ignorer les règles est une attaque frontale contre notre démocratie ». Le principal avantage d'Elon Musk est sa nationalité. Il ne mène pas seulement un combat de valeurs – déjà gagné aux Etats-Unis avec l’élection de Donald Trump –, il incarne le nouveau rapport de force qui s’installe de part et d’autre de l’Atlantique. « L’Europe n’a pas la force militaire et technologique pour se battre : ils contrôlent les technologies, nous n’avons que le contrôle des lois », résume Alexandre de Streel. « Qu’Elon Musk agisse illégalement ou pas n’est pas la question, la question est la volonté politique », approuve Aurore Lalucq, rappelant que le Brésil a suspendu le réseau social X l’été dernier. Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée coordinatrice des questions économiques pour le groupe Renew, approuve : « Diplomatiquement, Ursula von der Leyen devrait publiquement marquer son désaccord. Certes, politiquement, c'est plus sensible de s'attaquer à Elon Musk qu'à TikTok... Mais si on ne l'arrête pas, où le patron d'X s'arrêtera-t-il ? ».