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Le Point I L'Union des marchés des capitaux, plus urgente que jamais !
Y aura-t-il une union des marchés des capitaux en 2024 ? Il semblerait que oui ! Alors que, depuis trente ans, la libre circulation des biens, des personnes et des services est une réalité au sein de l'Union européenne, celle des capitaux demeure un serpent de mer. L'artisan du marché unique, Jacques Delors, qui vient de nous quitter, savait combien l'union des marchés de capitaux, le « nerf de la guerre », était essentielle pour l'avenir de notre marché européen.
À en juger par l'appel récent des plus grandes voix européennes, 2024 pourrait marquer l'année de sa concrétisation. Lors du Forum économique mondial de Davos, le président de la République, Emmanuel Macron, a insisté sur la nécessité d'avoir une « Europe financière beaucoup plus intégrée ». Quelques jours auparavant, Bruno Le Maire, lors de ses voeux à Bercy aux acteurs économiques, appelait à la création d'un véritable « supermarché européen du financement » tandis que Christine Lagarde et des présidents d'institutions européennes ont plaidé pour l'union des marchés des capitaux, destinée à favoriser leur circulation entre les pays membres pour financer plus largement les entreprises, en particulier les start-up et les PME.
L'argent public ne pourra pas tout
À l'heure où l'Europe connaît un besoin massif de nouvelles sources de financement pour répondre aux défis du XXIe siècle, accélérer l'union des marchés des capitaux devient une priorité absolue... En effet, le financement de la transition écologique et numérique est estimé, respectivement, à 620 milliards et 125 milliards d'euros. De plus, le vieillissement de la population, avec l'augmentation du coût des retraites, soulève la question du financement des retraites par capitalisation, que seule une minorité de pays européens ont mis en place. L'argent public, seul, ne pourra pas répondre à ces bouleversements majeurs. C'est pourquoi il y a urgence à mobiliser l'argent privé.
Si les citoyens européens peuvent se déplacer librement au sein du marché unique, les flux de capitaux restent principalement réglementés à l'échelle nationale. Nos marchés européens sont donc encore trop fragmentés et peu attractifs pour nos citoyens. À la différence des États-Unis, où la culture de l'investissement prédomine, en Europe, la tendance est à l'épargne.
Les Français, champions de l'épargne
Cette différence culturelle peut s'expliquer par l'aversion aux risques des Européens ou l'opacité de nos marchés financiers qui dissuaderaient les citoyens mal ou peu informés. Les chiffres parlent d'eux-mêmes. Les Français, par exemple, disposent de 500 milliards d'euros sur leurs comptes courants, et plus de 900 milliards sur leurs livrets d'épargnes (livret A, PEL...), dans une période où le besoin d'investissement ne fait que croître. La pandémie, la guerre en Ukraine et l'inflation n'ont fait qu'accentuer ce phénomène conduisant les ménages à mettre plus que jamais leur argent de côté.
Malgré le niveau élevé de l'épargne des ménages en Europe, les marchés financiers européens restent sous-développés et peu intégrés par rapport au marché américain. Ils souffrent d'un manque de liquidité et le financement de l'économie repose donc principalement sur les canaux bancaires nationaux.
Comment inciter les épargnants à investir davantage ? Faudrait-il plus de réglementations ? Un enseignement financier pour tous, dès le plus jeune âge ? Quel accompagnement pour les citoyens qui souhaitent investir ? Plus de transparence des intermédiaires financiers ? Autant de questions que nous débattons actuellement au niveau européen.
Plus de transparence et de protection pour l'investisseur
L'Union européenne travaille en effet sur des textes législatifs, dont la « stratégie d'investissement de détail ». Proposée l'an dernier par la Commission européenne, et actuellement négociée au Parlement européen, elle vise notamment à améliorer l'« expérience du consommateur » lorsqu'il décide ou envisage d'investir. Cette réforme s'empare à la fois des modes d'investissement traditionnels et des nouvelles tendances sociétales pour élargir la base d'investisseurs en Europe.
D'une part, la stratégie d'investissement de détail a pour objectif de rendre le cadre d'investissement traditionnel plus attractif, plus transparent et plus protecteur pour les épargnants. Les citoyens doivent avoir accès à un conseil de meilleure qualité qui soit adapté à leurs besoins, et ce, dans toute l'Union européenne. Tout citoyen qui investit doit bénéficier d'une protection équivalente au niveau national et dans les cas transfrontières. Enfin, il est temps de « parler finance » dès le plus jeune âge. L'éducation financière doit faire partie intégrante du système éducatif de nos pays européens, comme le font déjà le Danemark ou la Finlande. En redonnant confiance aux consommateurs dans le marché, pour qu'ils soient autonomes dans leurs décisions financières, nous permettrons une véritable mobilité du capital au sein de l'Union européenne.
Encadrer les « finfluenceurs »
D'autre part, la stratégie d'investissement de détail se saisit de nouveaux enjeux sociétaux, tels que le numérique et la lutte contre le changement climatique, qui mobilisent une nouvelle génération d'investisseurs.
Aujourd'hui, la digitalisation favorise l'émergence de nouveaux investisseurs mais présente également des risques liés à l'absence de réglementation. Nous l'avons vu lors de l'effondrement du géant de la crypto FTX, entraînant avec lui la chute des placements financiers de nombreux jeunes investisseurs.
Par ailleurs, les « finfluenceurs » jouent un rôle croissant dans la démocratisation de la finance mais restent encore trop nombreux à promouvoir des produits financiers sur les réseaux sociaux sans aucune connaissance du sujet. À l'instar de la loi française sur les influenceurs, notre texte européen devrait réguler ces « conseillers financiers 2.0 » pour protéger nos consommateurs de ventes trompeuses en ligne.
Des investisseurs plus engagés
Mais cette nouvelle génération est également plus engagée et veut faire des « investissements à impact ». Ainsi, 56 % de ces jeunes investisseurs sont davantage prêts à placer leur argent dans des produits durables et responsables. Au-delà de l'objectif de rendement, ce texte européen doit donc intégrer les valeurs sociétales et environnementales défendues par les citoyens.
Il y a urgence à créer cette « Union de l'épargne et des investissements », pour que les épargnants, les retraités, voire les salariés, puissent placer leur argent dans l'économie réelle en toute confiance. Certes, cette stratégie d'investissement de détail n'est qu'un des leviers vers la consolidation de notre marché mais reste une pièce essentielle du puzzle de la souveraineté économique de notre continent. L'Europe puissance est à portée de main. Saisissons-nous de l'impulsion politique clairement exprimée pour enfin concrétiser notre marché européen des capitaux, une mission que je m'efforce de remplir en tant que rapporteuse de la stratégique d'investissement de détail au Parlement européen.
(*) Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne, coordinatrice de la commission des Affaires économiques et monétaires (ECON) au Parlement européen et rapporteuse sur la Stratégie d'investissement de détail (Retail Investment Strategy, RIS).
L'article original ici.