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LE FIGARO-Le casse-tête de l'exécutif pour faire interdire les réseaux sociaux aux jeunes-13/06/2025

Emmanuel Macron entend barrer leur accès aux moins de 15 ans. Mais les verrous techniques et politiques s'avèrent nombreux.
Mieux vaut deux fois qu'une. Emmanuel Macron a de nouveau affirmé mardi que la France interdira les réseaux sociaux aux jeunes de moins de 15 ans d'ici « quelques mois » si rien n'est fait au niveau européen. Le président de la République avait déjà exprimé cette idée l'an dernier, mais c'est la première fois qu'il fixe une échéance. « Je nous donne quelques mois pour arriver à faire la mobilisation européenne. Sinon (...) on commence à le faire en France. On ne peut pas attendre » , a martelé le chef de l'État. Dans les faits, son souhait est-il vraiment réalisable et pourquoi cela prend-il autant de temps ?
Une première tentative avait été amorcée en juin 2023, avec le vote de la loi Marcangeli, qui instaurait « une majorité numérique » à 15 ans. Depuis, elle n'est jamais entrée en application, car elle fragmenterait la régulation européenne du numérique (DSA). Aujourd'hui, la Commission européenne n'a toujours pas donné sa réponse sur la conformité de cette loi au droit européen. Face à la lenteur des institutions européennes, la ministre française chargée du Numérique, Clara Chappaz, s'est donné « trois mois pour convaincre (ses) homologues européens de faire de la vérification d'âge un impératif » . Elle souhaite ainsi créer une coalition avec l'Espagne, la Grèce et l'Irlande, qui ont déjà montré leur appétence sur ce sujet.
La France va également expérimenter dans les prochains mois, avec l'Italie et le Danemark - qui va prendre la présidence du Conseil de l'Union européenne le 1 er juillet -, une solution pilote de vérification de l'âge sous l'égide de Bruxelles. La Commission va ainsi fournir une « brique technique commune » sur laquelle pourront se brancher des vérifications d'âge conçues par des acteurs publics et privés, comme France Connect ou La Poste. « Avec ces solutions validées par l'Europe, nous pourrons dire aux plateformes : «Vous n'avez plus d'excuses !»» , a fait valoir Clara Chappaz.
Mais, pour Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne, « il ne faut pas confondre vitesse et précipitation » . Elle prône ainsi un travail « au niveau européen si on veut une souveraineté numérique » . Quant à la lenteur administrative, la députée affirme « que tout le monde doit être responsable » et qu'il faut cesser la
« fragmentation, qu'adorent les plateformes » . Accompagnée d'autres députés, Stéphanie Yon-Courtin cherche à « instaurer une procédure rapide d'urgence » pour combler les lacunes du DSA sur la vérification d'âge. Un texte, le Digital Fairness Act (DFA) est censé répondre, entre autres, à cette problématique. Mais« les cadres législatifs de ce texte ne devraient arriver que mi-2026 » avant de potentielles applications en 2027 ou 2028. « On ne peut plus attendre, on doit aller plus vite et faire pression sur la Commission » , argue la députée, qui déplore « une approche trop téméraire » . Contactée, la Commission n'est pas revenue vers Le Figaro .
« fragmentation, qu'adorent les plateformes » . Accompagnée d'autres députés, Stéphanie Yon-Courtin cherche à « instaurer une procédure rapide d'urgence » pour combler les lacunes du DSA sur la vérification d'âge. Un texte, le Digital Fairness Act (DFA) est censé répondre, entre autres, à cette problématique. Mais« les cadres législatifs de ce texte ne devraient arriver que mi-2026 » avant de potentielles applications en 2027 ou 2028. « On ne peut plus attendre, on doit aller plus vite et faire pression sur la Commission » , argue la députée, qui déplore « une approche trop téméraire » . Contactée, la Commission n'est pas revenue vers Le Figaro .
Cette lenteur est d'autant plus frustrante qu'il existe « un sentiment de saturation très fort des parents et des professionnels contre les plateformes et les réseaux sociaux » , relève Justine Atlan, directrice générale de l'association e-Enfance. Selon elle, avant de relever l'âge d'accès à ces sites, « il faut déjà trouver un moyen de les obliger à respecter le seuil d'interdiction des moins de 13 ans en leur imposant des systèmes de vérification d'âge » . « Trois enfants sur quatre disposent d'un compte sur les réseaux sociaux avant cet âge, c'est inadmissible » , avançait Clara Chappaz il y a un mois dans nos colonnes.
Cet imbroglio profite directement aux plateformes. En novembre dernier, Antigone Davis, vice-présidente et responsable mondiale de la sécurité de Meta, a exprimé son souhait « de collaborer avec les législateurs pour trouver des solutions simples et efficaces afin de mieux soutenir les parents » . Ces dernières semaines, le groupe a aussi lancé une vaste campagne publicitaire dans les médias, sur les réseaux sociaux et dans les transports, arguant qu' « Instagram demande à l'UE une réglementation exigeant la vérification de l'âge et un accord parental sur l'App Store » . En d'autres termes, le groupe cherche à convaincre les parlementaires que c'est à Google et à Apple, qui gèrent les magasins d'applications sur les smartphones, de contrôler l'âge des utilisateurs.
« Cette proposition est trompeuse, car elle ne couvrirait pas les ordinateurs de bureau et ne serait pas non plus efficace contre les applications préinstallées (sur les smartphones achetés auprès d'opérateurs téléphoniques) » , se défend Google auprès du Figaro . « De plus, elle exigerait le partage de données sur les tranches d'âge avec des millions de développeurs - comme les applications météo - qui n'en ont pas besoin. Nous sommes très préoccupés par les risques que cette «solution» ferait peser sur les enfants » , complète le groupe américain.
Même son de cloche du côté d'Apple, pour qui la solution de vérification de l'âge via l'App Store entraînerait la collecte de données sensibles : « Les utilisateurs devraient nous fournir des données, telles que le permis de conduire, leur passeport ou leur numéro d'identification national, même si nous n'en avons pas besoin. Cela n'est pas dans l'intérêt de la sécurité ou de leur vie privée. » Pour l'heure, Apple et Google recommandent tous deux d'activer les fonctionnalités de contrôle parental, qui restreignent l'accès à certaines applications pour les mineurs. La semaine dernière, Clara Chappaz s'est exaspérée de ce« ping-pong, en permanence, plutôt que de protéger nos enfants » , appelant à « être responsable » .
La solution se trouverait peut-être ailleurs. Pour Anaïs Loubère, fondatrice de Digital Pipelettes, « on reporte le problème avec une technique de la répression qui a rarement porté ses fruits par le passé » . À titre d'exemple, l'arrêt de trois principaux sites pornographiques en France la semaine dernière a fait bondir la demande de VPN - réseaux privés virtuels - qui permettent de contourner des blocages géolocalisés. « Je ne suis pas persuadée que l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans va vraiment avoir un impact, combien d'adolescents s'arrêtent à une interdiction ? » , interroge Anaïs Loubère. Elle souligne ainsi plusieurs « problèmes de fond » , à commencer « par des députés qui ne sont pas équipés » . « Est-ce qu'il ne faudrait pas, déjà, inclure les adolescents directement dans le débat et organiser une consultation citoyenne ? » , questionne cette spécialiste du digital. E. C