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L'Opinion - L'étonnante passivité de Bruxelles face aux frasques d'Elon Musk - 07/01/2025

La Commission européenne dispose des outils contre les ingérences d’Elon Musk, mais rechigne à les utiliser. Difficile d’être régulateur et acteur politique à la fois…

L’année dernière, l’Europe se targuait d’être le seul continent à s’être doté d’une loi pour réguler les grandes plateformes du numérique, empêcher la désinformation et réguler la vie publique en ligne. Mais le premier test de cette loi pourrait ternir sa réputation. Le règlement sur les marchés numériques (DSA pour Digital Services Act), tout en garantissant la liberté d’expression de la même manière dans l’espace public, a trois objectifs principaux. Garantir la neutralité des plateformes qui ne sont pas censées promouvoir de contenus en particulier ; protéger les usagers de contenus illégaux ; et les protéger des tromperies et manipulations. Il prévoit des sanctions énormes en cas d’infraction : suspension de la plateforme et amende représentant jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial. En cas de suspicion, la Commission, qui s’est dotée d’un pouvoir judiciaire, a le droit de faire des descentes de police dans les locaux de X, y compris aux Etats-Unis, pour ouvrir la boîte noire de ses algorithmes et vérifier s’ils réduisent bien les risques systémiques pour les citoyens européens. Violation. Or actuellement, « il me semble qu’il y a une violation claire des obligations de modération de la part d’Elon Musk, sur la promotion et la gestion de contenus provocateurs et haineux sur X », estime l'eurodéputé Renew Sandro Gozi, rapporteur d’une loi sur la publicité politique devant entrer en vigueur cette année. En outre, ajoute-t-il, « plusieurs experts remarquent que les algorithmes de X, en ce moment, promeuvent la viralité de contenus extrémistes et n’assurent pas le pluralisme d’opinions. Si c’était le cas, ce serait une violation grave du DSA. La Commission devrait vérifier rapidement comment les algorithmes fonctionnent ». « Il semblerait que Musk ait codé en dur un multiplicateur dans le code de X. Cela signifierait qu'il a sapé la neutralité de l'algorithme au profit de sa propre influence », renchérit l'eurodéputé allemand Damien Boeselager (Verts), dans un courrier adressé à Henna Virkkunen, vice-présidente de la Commission chargée du numérique. Frilosité. Mais la Commission, si elle a ouvert une enquête contre X en décembre, n’est pas passée à l’étape suivante, comme elle l’a fait avec le réseau social chinois TikTok, à savoir ouvrir une procédure d’infraction plus formelle. Et ces derniers jours, elle se borne à renvoyer vers une future table ronde avec X où seront discutés les risques pour l'élection allemande de février. « Les grandes plateformes en ligne doivent [...] analyser et atténuer les risques découlant de tout traitement préférentiel ou visibilité accordée aux contenus, y compris les contenus de M. Musk sur sa propre plateforme », a commenté un porte-parole de l’institution lundi. Sandro Gozi « est déçu de l’absente de réaction officielle de la Commission au niveau politique ». Certes, Ursula von der Leyen, la présidente, est au lit avec une pneumonie. Mais Helena Virkkunen « s’était engagée à une mise en œuvre pleine et efficace du DSA, rappelle-t-il. Et là, on se met tous seuls en position de faiblesse ». « Helena Virkkunen doit agir sur le DSA comme cela a été fait de façon très réactive sur TikTok », approuve sa consœur Renew, Stéphanie Yon-Courtin. Bruno Alomar, ancien haut fonctionnaire à la direction générale de la concurrence de la Commission, estime « qu’on pourra faire dire tout et son contraire au DSA. Mais dans ce moment de vérité, la Commission décidera de ne rien faire, preuve que l’UE est dans la main des Etats-Unis, et par ailleurs extrêmement divisée », suggère-t-il. Aujourd’hui, on ne pourrait pas refaire cette loi, les Américains nous en empêcheraient, glisse l'expert. Il faut rendre justice à Thierry Breton d’avoir été l’homme qu’il fallait pour le faire entre 2019 et 2024 ». Manipulations. Alexandre de Streel, directeur académique du programme de recherche numérique au sein du Centre sur la régulation en Europe (CERRE), un think tank bruxellois, est plus indulgent avec la Commission européenne. « Les manipulations des réseaux sociaux pour pousser certains candidats avant les élections sont documentées, mais l’effet sur le comportement électoral est moins clair », remarque-t-il. Ainsi, « le DSA a deux limites. La difficulté à prouver un risque systémique dans les tweets d’Elon Musk et ses algorithmes. Et le fait qu’il est mis en œuvre par la Commission européenne, qui, contrairement à un juge ou une agence indépendante, a aussi un rôle politique, ce qui rend difficile de s’attaquer à l’administration américaine ou à l’extrême droite ».