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Le Monde I Affaire Fiona Scott Morton : la défense en semi-vérités de Margrethe Vestager ne convainc pas
La vice-présidente de la Commission, chargée de la concurrence, était venue, à la demande des eurodéputés, s’expliquer au Parlement sur la nomination controversée de l’Américaine Fiona Scott Morton au poste d’économiste en chef de la direction générale de la concurrence de la Commission.
Hésitante, butant sur les mots, lisant son texte, Margrethe Vestager n’était pas à l’aise lorsqu’elle a pris la parole, mardi 18 juillet, devant le Parlement européen. La vice-présidente de la Commission, chargée de la concurrence, était venue, à la demande des eurodéputés, s’expliquer sur la nomination controversée de l’Américaine Fiona Scott Morton au poste d’économiste en chef de la direction générale (DG) de la concurrence de la Commission, le bras antitrust de l’exécutif communautaire qui est chargé d’enquêter sur les comportements anticoncurrentiels des entreprises, d’autoriser les fusions et acquisitions mais aussi de valider les aides d’Etat des différents gouvernements.
L’exercice n’a pas permis de lever les questions que ce recrutement de l’enseignante à Yale, qui par ailleurs est consultante pour des entreprises comme Microsoft, Apple, Amazon ou Pfizer, annoncé le 11 juillet, a fait naître. Il en a au contraire souligné les incohérences.
Dans ce contexte, selon nos informations, plusieurs commissaires européens, dont le Français Thierry Breton, l’Italien Paolo Gentiloni, l’Espagnol Josep Borrell, le Luxembourgeois Nicolas Schmit ou la Portugaise Elisa Ferreira, ont écrit, ce mardi, une lettre à Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, pour lui demander de réexaminer sa décision. Le sujet sera abordé, mercredi, lorsque l’ex-ministre de la défense d’Angela Merkel rassemblera son équipe pour un dernier débat stratégique avant les vacances d’été.
Emmanuel Macron, qui était à Bruxelles, mardi, à l’occasion d’un conseil européen Union européenne (UE) – Amérique latine, a profité de l’occasion pour évoquer le sujet avec plusieurs de ses homologues. Le président s’est dit « dubitatif » sur cette nomination, qui, pour l’heure, n’a été critiquée publiquement que par des ministres français. Depuis une semaine, Paris tente de convaincre d’autres gouvernements de monter à leur tour au créneau. « Beaucoup de pays n’osent pas et se cachent derrière la France. Surtout quand ils attendent des autorisations d’aides d’Etat de la Commission », explique un haut fonctionnaire européen.
Dérogation rarissime
Alors que les fonctionnaires européens doivent être ressortissants d’un Etat membre de l’UE, Fiona Scott Morton a bénéficié d’une dérogation rarissime, jusque-là jamais utilisée pour un poste de ce niveau. Si ses compétences ne sont pas en cause – plusieurs économistes de renom, dont le Prix Nobel Jean Tirole, ont d’ailleurs vanté ses mérites ces derniers jours –, le fait qu’elle soit Américaine pose question. D’autant plus que l’UE vient de se doter d’une nouvelle régulation numérique qui concerne au premier chef les Gafam (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft).
« Si nous n’avons aucun chercheur [européen] de ce niveau pour être recruté par la Commission, ça veut dire que nous avons un très grand problème avec tous les systèmes académiques européens », juge Emmanuel Macron. Margrethe Vestager a, pour sa part, balayé le sujet, suggérant un certain antiaméricanisme de la part de ceux qui critiquent le recrutement de Fiona Scott Morton. Finalement, a-t-elle répété, « c’est son passeport qui [leur] pose problème ».
A la question des conflits d’intérêts qui pourraient surgir quand Fiona Scott Morton prendra ses fonctions le 1er septembre, la commissaire danoise a répondu par des demi-vérités. A ce stade, la liste exhaustive de ses missions de consultante n’est pas connue, même si certaines d’entre elles sont publiques. « Elle ne pourra pas travailler sur des cas auxquels elle a été associée dans son travail de consultante. Elle ne pourra pas non plus, durant ses deux premières années à la DG concurrence, s’occuper des entreprises pour lesquelles elle a travaillé dans l’année précédant son entrée en fonction », se contente de répéter la Commission.
Aucune liste rendue publique
« L’évaluation » des cas dont Fiona Scott Morton devra se déporter « est en cours », a-t-elle répété. « Cela concerne une poignée de cas et même moins », a-t-elle insisté, assurant qu’aucune liste n’existait à ce stade. En réalité, elle a bien été faite – d’ailleurs il aurait été curieux de ne pas se livrer à l’exercice avant de l’embaucher –, mais la Commission ne veut pas la rendre publique. « Quelle serait la plus-value d’engager une experte qui ne pourra pas travailler sur 25 % des dossiers sur lesquels elle est pourtant recrutée ? Et après ces trois ans, Madame Scott Morton retournera-t-elle chez Amazon avec toutes ces informations confidentielles ? Rien de tout cela ne fait sens », lance l’eurodéputée libérale (Renew) Stéphanie Yon-Courtin.
Autre semi-vérité brandie par Margrethe Vestager : il n’y a « pas besoin d’une habilitation de sécurité pour le poste d’économiste en chef », affirme-t-elle. Or, la fiche de poste, publiée par la Commission, dit le contraire. Mais dans le cas de Fiona Scott Morton, ce ne sera pas possible puisque celle-ci doit être donnée par un Etat membre de l’UE. « Elle a menti », tranche un haut fonctionnaire européen.
« S’entêter dans cette nomination serait pour la Commission une faute politique lourde », juge l’eurodéputé (Les Républicains) Geoffroy Didier. Au Parlement européen, où les présidents des trois premiers groupes politiques – Manfred Weber pour les conservateurs du Parti populaire européen, Iratxe Garcia Perez pour les sociaux-démocrates et Stéphane Séjourné pour les libéraux de Renew – avaient appelé la semaine dernière la Commission à revenir sur sa décision, la prestation de Margrethe Vestager n’a pas convaincu. Tant s’en faut.
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