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LePoint I Réduction des pesticides : un beau ratage au Parlement européen
Le Parlement européen ne va pas bien. Et la journée du mercredi 22 novembre ne fait pas partie des jours fastes. Trois heures de vote à l'heure du déjeuner avec une ribambelle d'amendements pour finalement tuer la tentative de législation sur la réduction de 50 % des pesticides, un élément important du vaste ensemble de textes constituant le pacte vert. Le plus surprenant, vu de loin, c'est que le vote final négatif a été le fait de la majorité des députés les plus hostiles à l'usage des pesticides.
En effet, parmi les 299 voix contre le texte (207 voix pour et 121 abstentions), on trouve une grande partie de socialistes, la quasi-totalité des écologistes, l'extrême gauche à quatre unités près. En fait, le texte a été très largement amendé par rapport à la proposition de la Commission de sorte que, finalement, il convenait davantage au monde agricole.
Bellamy raille la fin du « en même temps » des macronistes
La gauche et les écologistes ne peuvent, à eux seuls, rejeter un texte. Ce sont les centristes de Renew qui, parce qu'une grande partie d'entre eux s'est dressée contre cette réduction plus douce des pesticides, ont finalement envoyé le texte à la poubelle. Cette opposition a fait le jeu de la droite souverainiste (groupe ECR) et de l'extrême droite (groupe ID) qui, de manière générale, votent contre tout.
En revanche, sous le leadership de l'ancien écologiste Pascal Canfin, président de la commission Envi, onze députés Renaissance se sont dressés contre le texte. Et trois autres députés du groupe Renaissance ont préféré s'abstenir - Stéphanie Yon-Courtin, Gilles Boyer et Dominique Riquet.
« Aujourd'hui, on peut célébrer la fin du "en même temps", ironise l'eurodéputé LR François-Xavier Bellamy. Au moins, les choses sont claires. Le macronisme est de gauche, et même écologiste. Je propose à M. Canfin d'emmener sa délégation s'inscrire chez les Verts. »
Le PPE adoucit le texte au fil des amendements
Les chrétiens-démocrates du PPE ont été assez habiles pour adoucir le texte au fil des amendements votés en plénière en jouant sur les particularismes nationaux.
Cela leur a permis de rallier un tiers du groupe Renew et les délégations socialistes italiennes, roumaines, quelques députés espagnols, tout en coalisant les ultraconservateurs d'ECR et l'extrême droite (groupe ID).
« On a gagné tous nos votes clés sur le calendrier de la mise en oeuvre du texte, explique l'eurodéputée LR-PPE Anne Sander. On voulait donner plus de temps aux agriculteurs pour mettre en oeuvre ce texte, donc passer de 2030 à 2035. C'était pour nous le moyen de rendre cette réforme crédible, faisable. On voulait modifier la période de référence pour la baisse des pesticides. Pour nous, c'était 2011-2013. Ensuite, nos amendements portaient sur la définition des zones sensibles et l'interdiction des phytosanitaires dans les zones sensibles. On a fait passer tous nos amendements et, à la fin, les macronistes ont préféré saborder cette réforme. »
La balle revient à la Commission et au Conseil
Et maintenant, que va-t-il se passer ? Trois options possibles. La Commission européenne peut retirer sa proposition avant même que le Conseil n'adopte sa position.
Le Conseil peut adopter une position et engager des discussions avec le Parlement pour une seconde lecture. Dans ce cas, la règle de la majorité absolue s'appliquera au Parlement européen, ce qui rend encore plus hasardeuse l'adoption de compromis.
Enfin, la Commission peut maintenir sa proposition, le Conseil ne rien décider et, de facto, le texte dit SUR est bloqué jusqu'à nouvel ordre. La présidence espagnole n'entrevoit pas de zone d'atterrissage…
En fait, les trois grands groupes de la majorité, les socialistes, les chrétiens-démocrates et les libéro-centristes de Renew, sont d'accord sur la nécessité de réduire les pesticides, mais ils se divisent sur l'ampleur de la baisse et l'urgence de sa mise en oeuvre. Autant de réglages qui auraient dû faire l'objet de compromis, en amont, au sein de la commission Envi.
Accusations de sabotage réciproques
Ce n'est pas du tout ce qui s'est passé. Et chacun se renvoie la responsabilité de cet échec. « On a toujours dit que les propositions qui étaient formulées par la Commission européenne et qui ont été poussées plus loin encore par la commission de l'environnement allaient trop loin, reprend Anne Sander. Elles traduisaient une idéologie, celle d'une écologie vraiment punitive. » De son côté, la propre rapporteuse du texte, l'écologiste autrichienne Sarah Wiener, une apicultrice, s'est abstenue.
Après cet échec, elle a livré sa frustration pendant quarante minutes en accablant la droite, le lobby agricole et de l'agroalimentaire. « Pour moi, ça a été une grosse déception. Je n'aurais jamais imaginé que ce texte soit à ce point massacré, a-t-elle confié après le vote. C'est surtout une déception monumentale pour l'environnement, pour nos objectifs en matière de biodiversité et pour notre santé tout simplement, et celle de nos enfants, et des enfants de nos enfants. […] La droite s'est fait plaisir en tendant la main à l'extrême droite. […] Nous, du côté des Verts, nous avons vraiment cherché des compromis avec les autres groupes. On a vraiment essayé de céder du terrain pour essayer de trouver un terrain d'entente. »
À ce stade, tout le monde a perdu, sauf les plus grands producteurs de pesticides (BASF, Bayer, Corteva Agriscience, FMC et Syngenta, Sumitomo) regroupés par le groupe d'intérêt CropLife International. Ces multinationales allemandes, américaines, suisses, japonaises gagnent un peu de répit.
Selon le classement de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), en 2021, les plus grands utilisateurs en Europe de pesticides sont les Pays-Bas, avec 10,82 kg par hectare cultivé, devant Chypre (9,22 kg/ha), Malte (8,09 kg/ha), l'Irlande (7,07 kg/ha), la Belgique (6,42 kg/ha), l'Italie (5,38 kg/ha), le Portugal (5,23 kg/ha), l'Espagne (4,59 kg/ha). La France se situe au 12e rang avec 3,67 kg par hectare cultivé.
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