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Alternatives Économiques I Le retour des coupes budgétaires en Europe - 22.03.2024

Un nouveau Pacte de stabilité va imposer des politiques budgétaires restrictives pour 2025. Ce qui soulève nombre d’inquiétudes.

La petite musique se fait entendre de plus en plus fort en Europe : après plusieurs années de « quoi qu’il en coûte » au cours desquelles les Etats ont dépensé sans compter pour faire face à la crise sanitaire puis à l’inflation, il est temps de revenir au sérieux budgétaire et de réduire notre déficit et notre dette. Mais cet effort de réduction est-il nécessaire et intervient-il au bon moment ? 

« Il faut petit à petit revenir à un équilibre financier », estime Eric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), interrogé sur France Culture. Mais l’ajustement ne doit pas être trop rapide, et il doit être adapté selon les pays pour qu’au niveau européen, « l’austérité des uns ne soit pas nourrie par l’austérité des autres », précise l’économiste. 

« Les prévisions de croissance pour l’Europe viennent d’être révisées à la baisse. Il faut donc être prêt à soutenir encore l’économie, même si cela implique un déficit plus important », a par ailleurs avancé Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du Fonds monétaire international (FMI), dans un entretien accordé au Monde. 

On risque autrement d’ajouter un frein à ceux qui pèsent déjà sur la croissance européenne, tels les ralentissements chinois et allemand. Pourtant, les annonces de coupes dans les dépenses publiques se multiplient, que ce soit en France, en Belgique ou encore en Italie. Et cela pourrait n’être qu’un début. 

Les critères des 3 % et 60 % maintenus 
L’Union européenne s’apprête en effet à se doter à nouveau de règles budgétaires pour encadrer le déficit et la dette de ses Etats membres. Connues sous le nom de Pacte de stabilité et de croissance, ces règles visent depuis 1997 à limiter le déficit public à 3 % du produit intérieur brut (PIB) et la dette publique à 60 %. A la suite de leur suspension en 2020, un consensus s’était formé sur le fait qu’elles n’étaient plus applicables en l’état. Leur nouvelle version, âprement négociée depuis quelques mois, doit s’appliquer dès 2025. 

La Commission européenne en avait proposé dans un premier temps une version assouplie. Plutôt que de fixer des objectifs chiffrés indifférenciés à tous les pays, elle privilégiait l’établissement de trajectoires nationales de baisse des dépenses publiques tenant compte des spécificités de chaque pays. Mais le Conseil européen, qui regroupe les chefs d’Etat et de gouvernement, a obtenu, sous pression notamment de l’Allemagne et des Pays-Bas, l’intégration de critères numériques qui imposent chaque année un ajustement minimal à chaque capitale. 

« Les Etats frugaux ne voulaient pas que la Commission ait une marge d’interprétation trop grande, et ils craignaient que certains Etats bénéficient d’un traitement de faveur, relate Amandine Crespy, professeure à l’université libre de Bruxelles, spécialiste de la gouvernance socio-économique de l’Union européenne. Les arguments politiques ont pris le pas sur la rationalité économique qui voudrait qu’on abandonne les seuils arbitraires pour aller vers des règles qui intègrent les besoins en investissement propres à chaque pays. » 

Les preuves récentes de la mauvaise gestion budgétaire de Berlin affaiblissent pourtant la traditionnelle accusation de laxisme focalisée sur les pays du sud de l’Europe. 

En pratique, les pays avec un déficit supérieur à 3 % devront le réduire de 0,5 point de pourcentage par an. Les règles demandent aussi des efforts à des pays qui ont pourtant des marges de manœuvre budgétaires, à l’image de la Pologne, qui devrait certes avoir un déficit de 4,6 % en 2024, mais une dette de moins de 55 %. Varsovie, comme tous ceux ayant une dette sous 60 % mais un déficit supérieur à 3 % du PIB, devra réduire chaque année ce dernier de 0,4 point.

Par ailleurs, « les pays dont la dette est comprise entre 60 et 90 % du PIB devront la réduire de 0,5 point par an, et ceux dont la dette excède les 90 %, de 1 point, note Paola Monperrus-Veroni, économiste spécialiste de la zone euro au Crédit agricole. C’est cette contrainte qui sera la plus mordante pour les Etats. » 

Parmi les pays les plus touchés figurent la France, la Belgique, l’Espagne, l’Italie ainsi que la Hongrie et la Slovénie. En France, 10 milliards de réductions de dépenses ont déjà été annoncées pour 2024 et 20 milliards pour 2025. « En Belgique, le gouvernement cherche 3,9 milliards d’euros d’économies dès cette année », décrit Amandine Crespy. La dette italienne, elle, est passée de 155 % en 2020 à 137 % fin 2023, en raison d’une forte reprise postpandémie, attribuable, d’une part, aux aides massives reçues dans le cadre du plan de relance européen et, d’autre part, à un boom de la construction lié à l’instauration d’un « superbonus » par lequel l’Etat prend en charge, depuis mai 2020, les travaux de rénovation énergétique des particuliers. Mais en raison du coût de ce dispositif qui compte pour beaucoup dans la dégradation du déficit italien (- 7,2 % en 2023, soit deux points de plus que prévu), l’exécutif est en train d’en réduire le périmètre. 

« Le pays a également lancé une revue de ses dépenses de fonctionnement, et mis au point un plan de privatisation dont il espère des recettes équivalentes à 1 % du PIB, liste Sofia Tozy, économiste spécialiste de l’Italie au Crédit agricole. Nous revenons à la frugalité habituelle des budgets italiens. » 

 Une dose de souplesse 
En Europe, « les défenseurs de la réforme expliquent que l’ajustement demandé sur la dette est inférieur à celui des précédentes règles 1, analyse Jérôme Creel, spécialiste de l’économie européenne à l’OFCE. Mais pour les pays en déficit excessif, c’est-à-dire au-dessus des 3 %, la réduction exigée chaque année (- 0,5 %) est identique aux règles antérieures. Par ailleurs, la comparaison a ses limites, car le précédent pacte n’était pas appliqué. » 

Un des objectifs de la réforme est justement de renforcer la possibilité de sanctions, dont le montant a été réduit. « Lorsqu’un pays s’écartera trop fréquemment de sa trajectoire de référence, les sanctions seront déclenchées plus facilement, après une phase d’échange précontentieuse », décrit l’eurodéputée Renaissance Stéphanie Yon-Courtin, qui s’est prononcée début mars en faveur de l’accord trouvé avec le Conseil, comme la majorité des députés libéraux, de droite et des sociaux-démocrates de la commission économique et monétaire du Parlement. « Nous regrettons l’introduction d’éléments comptables, mais les flexibilités permises par ces règles compensent », justifie-t-elle. Parmi les pays épargnés par les règles figurent la Bulgarie, la Croatie, le Danemark, les Pays-Bas, la Lituanie ou encore la Suède. Ils ne pourront, à eux seuls, compenser les efforts demandés aux poumons économiques de l’Union. D’autant que certains pays, comme la Suède, ont des règles nationales de finances publiques encore plus strictes que le carcan européen. Risque-t-on, dès lors, un retour à l’austérité des années 2010 qui avait suivi la crise financière ? 

« La situation est différente, considère Andreas Eisl, chercheur en politique économique européenne à l’Institut Jacques Delors. Il y a désormais une conscience partagée de l’importance de trouver un équilibre entre réduction des déficits et maintien, dans une certaine proportion, de l’investissement public. » 

Les nouvelles règles permettent aux Etats de répartir sur quatre ans leurs efforts de réduction de la dette et des déficits, voire sur sept ans si c’est pour réaliser des investissements validés par la Commission. L’extension sera accordée en échange de l’engagement à réaliser des réformes, ce qui rappelle les conditionnalités appliquées à la Grèce.

« Par ailleurs, les critères numériques introduits par les pays frugaux risquent de conduire les gouvernements à compenser une hausse de l’investissement par une baisse des dépenses de fonctionnement », craint Ludovic Voet, de la Confédération européenne des syndicats (CES). Les cofinancements permettraient, selon Andreas Eisl, d’éviter ce type d’arbitrages : « Dans le cadre des fonds de cohésion, par exemple, l’Union peut payer traditionnellement jusque 80 % d’un projet, le reste étant pris en charge par le pays concerné. Or, ces cofinancements seront exclus des calculs du déficit et de la dette, ce qui crée une incitation à les développer », avance le chercheur. « On aura beau multiplier les cofinancements, si l’on incite les Etats à couper dans leurs dépenses, ces derniers viendront en remplacement de dépenses nationales, au lieu de s’y ajouter », nuance Ludovic Voet. 

Le changement climatique non pris en compte
Par ailleurs, les investissements sociaux sont officiellement sanctuarisés aux côtés de ceux liés à la transition, au numérique ou à la défense, « mais il est à craindre que la contrainte budgétaire n’induise une priorisation au détriment des premiers et en faveur des trois autres, plus ardemment défendus par la Commission », redoute Amandine Crespy. Les Verts européens, qui ont rejeté en bloc la réforme, ont quant à eux insisté sur le fait qu’elle rendait impossible l’atteinte de nos objectifs climatiques, qui nécessitent d’investir 360 milliards d’euros en plus par an en Europe. Dans une lettre ouverte publiée mi-février, 200 économistes ont par ailleurs insisté sur la non-prise en compte de la question climatique par les modèles économiques de la Commission, qui vont servir à avaliser ou non les trajectoires de dépenses des Etats. Avec un risque, estiment ses signataires, que l’institution ne se prononce « systématiquement contre les investissements à grande échelle ». 

« On sait que la multiplication des catastrophes climatiques pèsera lourd sur la croissance des pays. Mais cela n’est pas pris en compte dans les modèles, ce qui invisibilise de fait la capacité des investissements verts à soutenir une croissance de meilleure qualité, et donc à réduire la dette à terme », décrypte Amandine Crespy. 

En clair, l’Europe a des règles budgétaires désormais un peu plus souples mais leur philosophie reste inchangée. La vigueur de leur impact dépend d’autres chantiers européens, et notamment de la capacité de l’Union européenne à pérenniser le plan de relance post-Covid qui a soutenu les pays en difficulté au travers des dons. Le chantier est d’ampleur, car les Européens n’ont pas encore réussi à se mettre d’accord sur les ressources fiscales communes à lever pour rembourser la dette mutualisée alors consentie. 

Que ce soit au niveau européen ou national, la question fiscale est la grande absente du bal dans lequel l’Europe s’apprête à danser. Pour réduire le déficit et la dette, les Etats ont en théorie deux options : réduire les dépenses ou augmenter les recettes. « Mais la Commission introduit un biais fort en faveur de la première option », constate Ludovic Voet. « Tout régler sans augmenter les impôts, cela signifie que la partie la plus aisée de la population ne va jamais contribuer, lâche Eric Heyer. Tout faire par la réduction de la dépense publique fait peser l’ajustement sur les classes moyennes inférieures. »
 

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