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Le Figaro-Une bataille à couteaux tirés entre Meta, Apple et Google sur la vérification de l'âge-21/06/2025

Plusieurs pays, dont la France, veulent durcir les règles pour restreindre l'accès des jeunes aux réseaux sociaux. Plateformes et magasins d'applications se rejettent la responsabilité du contrôle.
Le débat brûlant tourne à l'affrontement. D'un côté du ring, Google et Apple. De l'autre, Meta, Snap, Spotify, Match Group (Tinder, Meetic...)... Alors que la planète entière s'inquiète des méfaits des réseaux sociaux pour les adolescents, ces poids lourds de la tech s'affrontent sur la question de la vérification de l'âge des internautes. Qui doit endosser cette responsabilité ? Les magasins d'applications à chaque fois qu'un utilisateur en télécharge une ? Ou les réseaux sociaux dès qu'un internaute crée un compte ? Les acteurs se renvoient la balle.
Ces questions se posent avec d'autant plus d'urgence que les États mettent une pression croissante sur les plateformes. L'Australie a été la première l'an passé à adopter une loi interdisant les réseaux sociaux aux moins de 16 ans. La France entend, elle aussi, être l'avant-poste de ce combat. Emmanuel Macron martèle sa volonté d'en interdire l'accès aux moins de 15 ans. Sa ministre déléguée au numérique, Clara Chappaz, s'est donné trois mois pour rallier ses homologues européens à cette initiative. « Il n'y a pas d'interdiction des réseaux sans vérification de l'âge », a-t-elle rappelé jeudi devant la commission sur les effets psychologiques de TikTok.
Or sur cet enjeu crucial, plateformes et magasins d'applications se rejettent la responsabilité. La tension est montée d'un cran ces dernières semaines. Le 13 juin dernier, Google a redit tout le mal qu'il pensait de la proposition « trompeuse » poussée par son rival Meta d'instaurer une vérification de l'âge au niveau des boutiques d'applications. Imposer cette mesure à Google Play ou à l'App Store d'Apple « nécessiterait le partage de données granulaires sur les tranches d'âge avec des millions de développeurs qui n'en ont pas besoin », affirme Google, qui se dit « préoccupé par les risques que cette «solution» ferait peser sur les enfants ». Cela permettrait également « aux développeurs d'applications de se soustraire à leurs responsabilités » tout en étant inefficaces, car « les ordinateurs ou autres appareils couramment partagés au sein des familles ne seraient pas couverts », ajoute le géant de Mountain View.
Une position également martelée par l'entourage d'Apple. En février, la firme de Cupertino affirmait déjà dans un livre blanc que « seule une petite partie des applications nécessite une vérification de l'âge » et que « le bon endroit » pour appliquer cette vérification se limite « aux sites web et applications » concernés.
Google et Apple contre-attaquent après la campagne publicitaire lancée par Meta en mai dernier en Europe. Placardées dans les médias et les transports, les affiches appelaient à une « réglementation européenne exigeant la vérification de l'âge et un accord parental sur l'app store », afin de « mieux protéger » les mineurs. « Les ados utilisent en moyenne 44 applications par semaine. La vérification de l'âge au niveau de l'app store simplifierait donc la vie des parents qui n'auraient à confirmer l'âge de leur enfant qu'une seule fois au lieu de le faire pour chaque application », affirme Meta.
Les géants américains n'ont pas lésiné sur le lobbying. Le contrôle de l'âge doit être réservé aux services qui posent « le plus de risques pour les mineurs », estime le lobby de la tech à Bruxelles, la Computer
& Communications Industry Association. Le règlement européen sur les services numériques (DSA), entré en vigueur l'an dernier, ne précise pas à qui revient la responsabilité de la vérification de l'âge des utilisateurs. « C'est au site qui propose un service de se mettre en conformité », estime Yaël Cohen-Hadria, associée de EY société d'avocats. La Commission européenne devrait clarifier ce sujet dans ses « Lignes directrices sur la protection des mineurs », un texte attendu le mois prochain. « L'idée est notamment d'inclure des normes homogènes sur la vérification de l'âge afin d'atténuer les risques auxquels sont exposés les mineurs , indique Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne Renew, spécialiste des sujets numériques, qui porte un projet de loi sur la majorité numérique. On verra si la Commission se montre suffisamment ambitieuse. Quoi qu'il en soit, le problème est que ces lignes directrices ne sont pas juridiquement contraignantes . » En parallèle, l'Europe cherche à se doter d'une solution technique qui s'appliquerait à tous les sites soumis à des restrictions d'âge. Un outil devrait être testé d'ici à la fin de l'année. Il s'agit d'un portefeuille d'identité numérique qui permettrait de stocker les documents de vérification de l'âge des internautes. Qui aurait alors la responsabilité de le déployer ? « C'est encore flou, répond Stéphanie Yon-Courtin. La priorité consiste d'abord à choisir les solutions les plus efficaces techniquement ».
Aux États-Unis, Mark Zuckerberg, s'est personnellement impliqué l'an passé pour repousser un projet de loi (Kids Online Safety Act), voté par le Sénat, qui aurait nettement durci les restrictions imposées aux plateformes. Depuis, une nouvelle version du texte fait son chemin. Il impose cette fois aux magasins d'applications, et non plus aux réseaux sociaux, d'effectuer ce contrôle. La bataille se joue aussi au niveau des États, une dizaine d'entre eux ayant légiféré sur la protection des mineurs en ligne. Parmi les plus engagés sur ce sujet, figure le Texas, qui a adopté fin mai une loi imposant aux magasins d'applications de vérifier l'âge des internautes ainsi que le consentement des parents. Loi qui entrera en vigueur le 1 er janvier 2026. C'est « l'un des systèmes de vérification de l'âge les plus extrêmes que nous ayons connus », avait alors réagi un porte-parole de Google. Avant que la loi ne soit signée, Tim Cook, le patron d'Apple, avait lui-même téléphoné au gouverneur de l'État pour lui demander de modifier, voire de mettre son veto au texte.
Si la tension monte entre les deux camps, cela s'explique par les enjeux juridiques à la clé. Le DSA expose les contrevenants à des sanctions et à des amendes pouvant aller jusqu'à 6 % de leur chiffre d'affaires mondial. Les implications sont également financières. « Si elles sont responsables de la vérification de l'âge, elles devront dépenser pour déployer un système de vérification de l'âge et s'assurer de son application », résume Stéphanie Yon-Courtin. « Lorsqu'on prend en compte la taille de ces plateformes et les disparités réglementaires d'un pays ou d'une région à l'autre, on parle de coûts de modération et de mise en conformité de l'ordre de dizaines de millions d'euros par semaine », ajoute Cyril Vart, associé de EY Fabernovel. Sans parler du manque à gagner publicitaire si les plateformes doivent se priver d'une partie significative de leur audience. Les deux camps ne sont pas près de baisser les armes. K. L.