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L'AGEFI - Bruxelles tergiverse sur le partage des données financières - 13/02/2025

Bruxelles tergiverse sur le partage des données financières

Le règlement Financial Data Access (Fida) fera-t-il les frais «du choc de simplification» planifié par la Commission européenne? Si Bruxelles n’y renonce pas, la France, à l’unisson des grands lobbys financiers, est bien décidée à torpiller ce texte.L’avenir du règlement sur le partage des données financières fait des remous à Bruxelles. Lundi, un document provisoire émanant de la Commission européenne conduisait plusieurs médias à annoncer le retrait du controversé projet de règlement Fida (Financial Data Access). 
Et ce, en raison «du poids significatif et de la complexité» générée «pour les acteurs de la finance», indiquait ce texte. Il n’en est finalement rien à ce stade.
La réforme prévoyant un partage massif des données financières au sein de l’Union, des acteurs traditionnels (banques, assurances, gestionnaires de fonds…) vers des tiers comme les fintechs, reste bien d’actualité, selon le programme de travail officiel publié mardi soir par l’exécutif européen. Alors pourquoi un tel quiproquo? La présidente de l’institution, Ursula von der Leyen, aurait bel et bien cherché à faire dérailler cette nouvelle réglementation, en court-circuitant sa commissaire aux Services financiers, la Portugaise Maria Luís Albuquerque, ainsi que la puissante Direction générale dédiée à la finance (la DG Fisma), très favorable au projet. Sans succès donc. «Fida est un projet que j’entends faire progresser, comme le prévoyait d’ailleurs ma lettre de mission [attribuée en septembre par Ursula von der Leyen], a indiqué mercredi Maria Luís Albuquerque à la presse. Nous pensons qu’il est important de promouvoir l’innovation au sein des marchés financiers.»Un projet approuvé à maintes reprisesUn retrait aurait été très inhabituel. Proposé en juin 2023 par la précédente Commission, le règlement Fida a obtenu coup sur coup fin 2024 les feux verts du Parlement européen, puis du Conseil de l’UE, l’institution réunissant les Etats membres. Les deux co-législateurs ont chacun adopté leur propre version du projet, et sont désormais censés ouvrir les dernières négociations - les trilogues - avant son adoption. «Un meilleur partage des données permettrait (...) de cibler les consommateurs avec des produits financiers hautement personnalisés (...), de créer un secteur financier plus concurrentiel afin d’améliorer l’accès à la finance», se félicitait ainsi le Conseil de l’UE en décembre dernier.Depuis, le vent a cependant tourné. La nouvelle priorité affichée par l’Union est de réduire drastiquement la charge administrative pesant sur les différents secteurs de l’économie, au nom de la compétitivité. S’il a survécu sur le fil cette semaine, on peut dès lors se demander si Fida finira par voir le jour, et avec quel niveau d’ambition. Car le projet, tel que proposé initialement, constitue une petite révolution : aujourd’hui, seule une petite partie des données financières est ouverte à travers «l’open banking», celles relatives aux comptes à vue des particuliers, et non les informations patrimoniales, de gestion d’actifs, d’épargne et d’assurance-vie.A nos yeux, mettre en place cette nouvelle architecture très complexe, coûteuse et contraignante ne répondrait pas à un besoin Solenne Lepage déléguée générale de l’Association française des sociétés financières (ASF)Trop complexe, Fida? Depuis plusieurs mois, le projet fait en tout cas l’objet d’un tir de barrage de la part des grands lobbys de la finance : en décembre, six associations européennes représentant les industries bancaires, de l’assurance et de la gestion d’actifs ont pointé le manque «d’évaluations adéquates des coûts» et l’absence de «preuves» de l’existence «d’une demande des consommateurs et du marché en faveur du partage des données». Ainsi, en décembre dernier, Isabelle Ferrand, la directrice générale de la confédération nationale du Crédit Mutuel, déclarait dans une tribune publiée par L’Agefi que Fida constituait «une triple menace pour la souveraineté, l’égalité et la sécurité bancaire en Europe».«A nos yeux, mettre en place cette nouvelle architecture très complexe, coûteuse et contraignante ne répondrait pas à un besoin, abonde Solenne Lepage, déléguée générale de l’Association française des sociétés financières (ASF). Ouvrir les données des clients à des acteurs qui ne sont pas aussi experts et régulés que le sont les établissements bancaires et financiers serait d’ailleurs peu cohérent avec d’autres textes européens comme le règlement Dora qui vise à renforcer la sécurité informatique.»Ouverture du trilogueNaturellement, les acteurs de la fintech voient les choses d’un tout autre œil. «Fida renforce la cybersécurité en protégeant les données des utilisateurs grâce au respect des impératifs de sécurité (DORA, RGPD)», assure France Fintech, dans un document de position en date du 4 février. «L’ouverture des données permet une optimisation et une personnalisation des finances personnelles», vante encore l’organisation qui préconise ainsi «une mise en œuvre rapide».A quoi peut-on désormais s’attendre? Les négociations en trilogue devraient a priori bien s’ouvrir, mais les opposants au projet ont marqué des points et peuvent notamment compter sur un allié de poids. Le gouvernement français a repris chacun de leurs arguments dans une note datée du 20 janvier au sujet du mouvement de simplification normatif en cours à Bruxelles. «Le partage massif de données financières soulève des questions cruciales quant à la protection des données personnelles et à la souveraineté numérique de l’Union européenne», estime Paris, allant jusqu’à suggérer un «abandon pur et simple» du texte.Le spectre des GafamLes contempteurs de Fida agitent en effet le risque que les données bénéficient non pas à des assurtechs et autres start-up, mais aux Gafam américains, en dépit des différentes «mesures de précaution» ajoutées par les co-législateurs sur ce point.«Plus de circulation des données signifie aussi plus de pouvoir pour les gatekeepers [les Gafam], et une fois l’accès accordé, il n’y a pas de retour en arrière pour notre souveraineté», s’inquiète auprès de L’Agefi l’eurodéputée Renew Stéphanie Yon-Courtin, devenue rapporteure fictive du texte au Parlement européen après les élections de juin. «La Commission aurait fait un bon choix en retirant Fida. Nos régulateurs sont déjà sous pression. Ajouter la supervision complexe de Fida par-dessus risquerait de les surcharger», argumente encore l’élue macroniste. Si Fida n’est pas tué dans l'œuf, les options pour raboter ce règlement ne manquent pas.