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L'Europe peut-elle s'imposer face aux Gafa ? Nous n'avons pas le choix
Recueilli par Céline Schoen (à Bruxelles)
Stéphanie Yon-Courtin. Députée européenne, membre du groupe Renew Europe (RE) et vice-présidente de la commission des affaires économiques et monétaires (Photo : Daina Le Lardic/Parlement européen)
La Commission européenne a présenté, mardi 15 décembre, son plan destiné à encadrer les géants du numérique, via deux règlements. Le «Digital Services Act» vise notamment à lutter contre la prolifération des contenus haineux et la désinformation en fixant des obligations de modération des contenus. Le deuxième texte («Digital Markets Act») imposera des contraintes spécifiques aux Gafa, dont la toute-puissance menace le libre jeu de la concurrence.
La question n'est pas de savoir si l'Europe peut s'imposer face aux Gafa, elle doit le faire. Nous n'avons pas le choix. Pour cela, les propositions de législation sur les services numériques (DSA) et sur les marchés numériques (DMA) dévoilées par la Commission européenne sont un bon point de départ. Ces textes étaient attendus et nécessaires.
Avec le DMA, la Commission veut imposer une série d'obligations et d'interdictions aux plateformes considérées, à partir de critères tels que la taille du service, comme des «contrôleurs d'accès». C'est utile car les procédures qui découlent du droit de la concurrence actuel ont montré leurs limites: elles sont très longues et les sanctions ne sont souvent pas dissuasives. Quand on voit que les milliards d'euros d'amendes contre Google n'empêchent pas l'entreprise de violer les règles en place, on se dit qu'il faut intervenir avant que le mal ne soit fait. La logique, aujourd'hui, c'est de prévenir plutôt que guérir.
Cette nouvelle législation va faire réfléchir les Gafa. Elle peut entraîner un changement de paradigme. Le DMA rappelle en effet que, dans l'économie numérique comme dans l'économie réelle, les acteurs privés ne peuvent pas définir leurs propres règles. Je vois la situation actuelle comme un match de foot dont les règles du jeu doivent être rétablies: on ne peut pas permettre à une équipe d'être à la fois joueuse et arbitre. Or Amazon ou Google sont dans cette position-là. L'Europe ne veut pas sanctionner le succès ou l'innovation. Les grandes plateformes ont le mérite d'avoir su grandir, devenir dominantes sur les marchés – ce qui n'est pas condamnable en soi. Avec le Covid-19, on a bien vu combien elles sont utiles. L'Europe doit donc réussir à contrer les comportements qui empêchent les petites entreprises de devenir grandes.
Pour cela, il faudra être efficace. Faire des propositions, c'est bien, mais il faut avoir les moyens nécessaires à leur mise en œuvre. Pour faire en sorte que ces nouvelles dispositions ne restent pas des coquilles vides, la Commission devra se muscler. En face, le pouvoir et les ressources des Gafa sont énormes – avec une horde d'ingénieurs, d'économistes comportementalistes et autres chercheurs qui tenteront de faire plier l'UE. À elle de parvenir à se faire entendre. Quant aux sanctions prévues par la Commission pour un «contrôleur d'accès» ne respectant pas la liste noire des comportements prohibés (10% maximum de son chiffre d'affaires annuel mondial total et des astreintes), j'espère qu'elles seront suffisantes. L'UE ne doit pas, en parallèle, faire l'économie de la réforme de son droit de la concurrence. Les deux modes d'action – en amont, avec la liste des comportements interdits par le DMA, et en aval, avec le droit de la concurrence actuel – seront nécessaires pour faire le poids.
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