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L'AGEFI I Stéphanie Yon-Courtin : «L’interdiction des rétrocessions n’est pas la solution magique» - 24.04.2024

La députée européenne, membre du groupe politique Renew Europe, est rapporteure sur la stratégie d’investissement de détail (RIS) proposée par la Commission européenne. Elle explique les réformes portées au texte d’origine.   

L’AGEFI ALPHA - Vous avez apporté beaucoup de modifications aux propositions de la Commission européenne concernant la Stratégie d’investissement de détail (RIS) de l’Union européenne dans votre rapport soumis au vote en commission des Affaires économiques et monétaires du Parlement européen (ECON). Pour quelles raisons?  

STÉPHANIE YON-COURTIN - En tant qu’eurodéputée, rapporteure principale du Parlement européen sur ce projet de loi et porte-parole de la commission ECON, j’ai considéré que ce texte de la Commission européenne n’était pas à la hauteur des enjeux financiers européens. La Stratégie d’investissement de détail s’inscrit dans un cadre plus global, qui est celui du besoin de financement de l’économie européenne. Aujourd’hui, nous faisons face à un besoin de financements énorme dans un contexte de transition écologique et de digitalisation. L’argent public ne sera pas suffisant. Nous avons besoin de plus en plus de la participation des financements privés. Il y a bien sûr les entreprises et les grands investisseurs institutionnels qui font partie des leviers, mais nous avons aussi besoin des particuliers. Le taux d’épargne des Européens est massif depuis le Covid-19 et je pense que nous pouvons trouver un moyen d’impliquer davantage les citoyens dans tous ces enjeux.   


La Commission avait pourtant revu sa copie en mai...  

Elle a publié ses premières propositions en mai 2023 avant de s’apercevoir que son texte n’allait pas passer au Parlement européen. L’un des points d’achoppement concernait l’interdiction totale des commissions de vente sur un produit financier touchées par un conseiller financier. Après de nombreux appels par les Etats membres et l’envoi par certains eurodéputés d’une lettre à la commissaire Mairead McGuinness, comme je l’ai fait, la Commission européenne est revenue sur l’interdiction totale des rétrocessions. Elle nous a proposé un mois plus tard un texte assez bancal et peu travaillé. L’interdiction totale a été remplacée par une interdiction partielle des commissions sur les « transactions d’exécution » de ventes « sans conseil ». Cette situation s’explique également par le fait que la commissaire Mairead McGuinness est en fin de mandat et qu’elle souhaitait le terminer avec une victoire sur ce texte. Néanmoins, je trouve que c’est symptomatique d’une Commission européenne qui ne consulte pas assez le Parlement européen. Les textes étaient trop techniques et sans vision. Les positions des groupes politiques étaient très éloignées les unes des autres et je me suis retrouvée avec plusieurs groupes politiques opposés à ce texte.  

Pourquoi pensez-vous que les commissions perçues par un conseiller financier ne vont pas biaiser son conseil?  

Une interdiction pure et simple des rétrocessions n’est pas la solution magique à tous les problèmes identifiés. Au-delà de la question du conflit d’intérêts et du commissionnement, il y a également la question de l’accessibilité du conseil. Le commissionnement permet de mutualiser les frais liés au conseil ainsi que les risques, ce qui permet de garantir l’accès au conseil à tous sur l’ensemble du territoire. C’est le cas en France par exemple. Supprimer le commissionnement voudrait dire passer à un système d’honoraires, où seuls les plus riches y auraient accès. Cela risquerait donc de détricoter le maillage des territoires et de réduire l’accès au conseil pour les ménages moins aisés.  

Les sondages ont également montré que le prix n’est pas l’unique critère à l’achat d’un produit financier pour la majorité des investisseurs. Ces investisseurs souhaitent faire des « investissements à impact », c’est-à-dire investir dans des produits qui présentent plus de valeur, comme les investissements durables.  

Les textes de la Commission européenne sur la RIS étaient trop techniques et sans vision Stéphanie Yon-Courtin.

Dans le cadre de mon travail en tant que rapporteure de ce texte au Parlement européen, l’enjeu était de trouver un équilibre entre le renforcement des règles au profit des citoyens et préserver la compétitivité des réseaux de conseillers, en particulier les plus petits.  

Au lieu de supprimer les commissions, il faut selon moi muscler les règles sur toute la chaîne de valeur pour responsabiliser les acteurs et assurer véritablement le rapport qualité-prix d’un produit financier. Il faut également garantir une meilleure qualité du conseil, assurer plus de transparence auprès du consommateur et doter les superviseurs d’outils supplémentaires pour assurer la bonne application des règles. C’est précisément l’approche que nous avons adoptée au Parlement européen.  

Quelle a été votre approche sur le renforcement de la notion de « value for money »?  

Nous avons mis en place de nouvelles dispositions pour responsabiliser davantage les organes de direction des conseillers financiers ou des distributeurs de produits financiers. Ils devront avoir une politique interne de « value for money » et un droit de regard au plus haut niveau. Par ailleurs, certains aspects dans l’élaboration des produits financiers devront être harmonisés au niveau européen quand cela est possible. C’est la notion de « peer grouping » où des principes généraux européens sont établis, permettant aux entreprises de mesurer le rapport qualité-prix d’un produit lors de son élaboration ou de sa distribution. Les autorités européennes de supervision seront chargées de déterminer ces principes généraux. En parallèle, on donne aux autorités nationales des outils de supervision supplémentaires pour assurer une meilleure application des règles par les acteurs de marchés.  

Ces outils supplémentaires correspondent à l’utilisation d’une grille de lecture (« benchmarks ») européenne ou nationale pour analyser un produit donné. Cet outil de contrôle ex post permet de déterminer si un produit présente un coût excessif par rapport à la valeur qui lui est attachée (une garantie, caractère durable par exemple). Sur cette base, l’autorité nationale pourra exercer son contrôle de manière ciblée sur les acteurs de marché et voir si une entreprise applique correctement les règles d’élaboration et/ou de distribution d’un produit. Si l’entreprise justifie la bonne application des règles, le contrôle s’arrête là. En revanche, si l’autorité constate que cela n’est pas le cas, elle peut agir en demandant à l’entreprise de revoir sa copie et, en dernier recours, retirer le produit du marché.  

Il y a pourtant l’exemple des Pays-Bas en Europe qui ont interdit les rétrocessions...  

Beaucoup de gens en effet prennent ce pays en exemple. Mais cette interdiction a fait suite à des scandales financiers importants. Et quelques années après, on voit bien que beaucoup de distributeurs ont disparu et que l’offre aux consommateurs s’est considérablement réduite. On ne peut pas passer du tout au rien. Il y aura toujours quelque chose à payer pour les consommateurs. Et beaucoup de gens ne souhaitent pas seulement cliquer pour acheter un produit financier. Il y a donc la question de donner accès au conseil à tous, d’être sûrs que les produits financiers sont bien compris, que les informations sont délivrées en toute transparence notamment sur les coûts, et que des politiques internes sur ces sujets sont bien mises en place.  

Certains distributeurs sont parfois très petits comme les conseillers en gestion de patrimoine. Seront-ils aussi concernés par cette réforme?  

La réforme ne modifie pas le champ d’application des textes législatifs amendés. Cela signifie que les acteurs actuellement couverts par ces réglementations devront se conformer aux nouvelles règles. Néanmoins, des mesures de proportionnalité sont appliquées aux plus petits, pour faciliter l’application de ces règles.

Comment allez-vous vous assurer de l’efficacité de ces mesures?   

Le texte de la Commission prévoyait une clause de revoyure au bout de trois ans. Nous l’avons portée à cinq ans après l’adoption des règles de niveau 2 pour nous donner le temps de mieux juger les effets du texte. Si nous voyons que les entreprises agissent en garantissant l’absence de conflit d’intérêts et que les prix sont justifiés, il ne sera pas nécessaire de remettre l’interdiction des rétrocessions sur la table. Si ce n’est pas le cas, nous permettrons à la Commission de légiférer à nouveau.  

Pourquoi ne pas adopter un système de prix encadrés comme chez les notaires ou les médecins?  

De façon générale, l’encadrement des tarifs tombe sous le coup du droit de la concurrence. Les exemples que vous citez se font dans des cadres très spécifiques. En outre, cela n’a pas du tout été revendiqué par les groupes d’opposition socialistes ou verts. Ces derniers voulaient tout européaniser, mais il y a autant de types de conseillers que de pays européens. L’harmonisation totale serait dans un monde idéal. Mais on voit bien qu’il y a des pays qui font du « tout numérique », ceux qui l’ont fait mais qui en reviennent en demandant de nouveau du papier, et puis des pays qui sont attirés par le numérique pour une certaine catégorie de la population (les femmes, les jeunes, la crypto…) mais qui ont aussi à répondre aux besoins de gens plus âgés qui ne pourront jamais se passer de leur conseiller physique. D’où la nécessité de maintenir un maillage territorial des conseillers. C’est le cas de la France, de l’Allemagne et même de l’Italie. Ce sont donc les trois plus grands marchés européens qui revendiquent un modèle.  

Mais la numérisation de la distribution des produits financiers ne pourra que se développer…  

Bien sûr, et nous l’encourageons. La digitalisation va étendre la possibilité d’investissements et favoriser les financements transfrontaliers. Dans cinq ans, le paysage financier aura bien changé. Mais aujourd’hui, nous voulons envoyer le message aux entreprises qu’on ne leur ajoute pas une couche de contraintes, qu’on ne crée pas une usine à gaz. Ce que l’on veut, c’est les responsabiliser dans la production et distribution de produits financiers. L’Union financière qu’appelle de ses vœux Enrico Letta est un vrai serpent de mer et si l’on veut que ce soit un succès, il faut la faire progressivement. La proposition de la Commission sur la RIS, telle que publiée, était vouée à l’échec. Elle ne correspondait pas à une stratégie européenne en tant que telle, mais plutôt à un amas de textes très techniques. Il nous fallait donner une impulsion politique à ce texte.  

A propos de numérisation, vous avez ajouté des règles concernant les « finfluenceurs ». Sont-ils un danger pour les consommateurs?  

La tendance à la digitalisation et à la finance numérique qui mobilise les jeunes générations, c’est bien, mais ces dernières sont les plus vulnérables aux fraudes et aux risques. On ne peut pas vendre un produit financier comme on vend un shampoing. Les entreprises d’investissement seront désormais responsables du contenu et de la conformité de la communication marketing des finfluenceurs. Elles devront signer un contrat avec eux pour assurer la transparence et déterminer le régime de responsabilité. Les Etats membres pourront signaler aux autorités de supervision les acteurs en infraction.  

Il y a aussi toute une partie sur l’éducation financière dans votre rapport...  

Oui la proposition de la Commission européenne n’était pas très ambitieuse de ce côté-là. Elle se limitait à pousser les Etats membres à prendre des mesures. En discutant avec les autorités nationales sur ce sujet, j’ai pu voir que chaque pays avait pris des initiatives. Je propose en premier lieu la création d’une plateforme qui réunirait toutes les autorités nationales, les associations de consommateurs et tout autre acteur pertinent pour échanger sur les bonnes pratiques. De nombreux superviseurs se plaignent d’un manque de visibilité sur ce que font leurs voisins. On pourrait ainsi propulser au niveau européen cette culture de l’éducation financière qui manque tant.   

Quel est l’agenda désormais?  

Le texte RIS concerne deux textes : la directive Omnibus, qui contient les points politiques les plus discutés avec notamment la question des rétrocessions, et la réforme Priips. Le groupe des socialistes au Parlement européen a souhaité que le mandat voté en ECON soit soumis en séance plénière du Parlement le 23 avril. Mais je suis confiante sur le résultat puisque le texte a été voté à la majorité en Commission des affaires économiques et monétaires au Parlement européen.  

Son parcours  

Stéphanie Yon-Courtin est députée européenne, membre du groupe politique Renew Europe et du parti politique Renaissance. Elle est coordinatrice de la commission des Affaires économiques (ECON) et suppléante dans les commissions du Marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO), la commission de la Pêche (PECH) et la sous-commission des Affaires fiscales (FISC). Elle est également conseillère régionale de Normandie et a été maire de Saint-Contest dans le Calvados jusqu’en 2019.  

Diplômée d’un master de droit des affaires à l’Université de Caen et de Bristol (Angleterre) et d’un master de droit de l’Union européenne à l’Université Libre de Bruxelles, elle est avocate de profession et a été admise au barreau de Paris en 2004. Elle a travaillé pour des cabinets d’avocats (Freshfields Bruckhaus Deringer, Allen & Overy LLP), a été juriste pour la Commission européenne, ainsi que conseillère pour les affaires internationales au sein de l’Autorité de la concurrence française.


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