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L'AGEFI I Stéphanie Yon-Courtin : «Une interdiction, même partielle, des rétrocessions, enverrait le mauvais signal à l’industrie financière»

Exclusif - L’eurodéputée rapporteure principale du Parlement européen sur la stratégie «investissement de détail» de l’UE, dévoile ses propositions à L’Agefi. 

Après avoir un temps considéré une interdiction totale des rétrocessions dans la vente de produits financiers, la Commission européenne a fini par proposer, au sein de son projet législatif, une «interdiction partielle», qui ne s’appliquerait qu’aux «transactions d’exécution» de ventes «sans conseil». Mais dans votre rapport, vous choisissez de supprimer cette disposition : pour quelle raison? 

Stéphanie Yon-Courtin - Cette proposition d’une interdiction partielle me semble être une décision politique précipitée, qui s’inscrit, plus largement, dans une volonté d’introduire in fine une interdiction totale. Qu’est-ce qu’une transaction d’exécution? Ce n’est pas défini clairement dans le texte de la Commission. Par ailleurs, la clause de revoyure, actuellement fixée à trois ans - ce qui me semble bien trop court - est rédigée d’une façon biaisée afin d’introduire plus tard une interdiction complète. Je propose donc d’allonger sa durée à cinq ans, et d’élargir son objet, pour qu’elle ne porte plus seulement sur ces «inducements»

Une étude de la Commission européenne indique que les produits sur lesquels ces «inducements» sont payés sont - en moyenne - environ 35% plus chers. Les personnes favorables à l’interdiction pointent aussi les risques de conflits d’intérêts liés à cette pratique. Qu’avez-vous à répondre face à ces arguments? 

A mon sens, interdire les rétrocessions réduirait l’accès au conseil financier qu’il faut justement préserver, dans nos territoires en particulier, où c’est un facteur d’ancrage important. Quand 70% des citoyens européens n’ont jamais investi dans un produit financier, une telle mesure irait contre notre objectif : ouvrir les investissements à tous les particuliers qui le souhaitent. Je pense que le problème est avant tout lié à un manque de transparence, auquel j’espère que cette réforme peut remédier, en avançant notamment vers un conseil plus individualisé, avec une meilleure visibilité pour les investisseurs sur le produit financier. Enfin, ce sujet a une dimension de concurrence et de souveraineté : notre objectif n’est pas que, demain, seuls les produits américains soient vendus aux consommateurs européens… Cette interdiction, même partielle, enverrait le mauvais signal à l’industrie financière européenne. 

Il faut arrêter de mettre l’accent exclusivement sur le prix d’un produit financier 

La Commission proposait également de contraindre les conseillers financiers à «proposer au moins un produit financier alternatif exempt d’éléments additionnels et de coûts supplémentaires non nécessaires compte tenu des objectifs d’investissement du client». Vous choisissez aussi de supprimer ce passage : Pourquoi? 

Il faut arrêter de mettre l’accent exclusivement sur le prix d’un produit financier. Accroître la participation des citoyens va bien au-delà des considérations de prix. C’est pourquoi ma priorité a été d’ajouter des éléments qualitatifs à la proposition. Les autres conditions, que j’ai maintenues obligent les conseillers financiers à fournir leur conseil sur la base d’un large éventail de produits, en prenant en compte les coûts, mais également la qualité des produits offerts. Ces conditions se suffisent à elles-mêmes pour assurer une offre de produits diversifiée, c’est-à dire de proposer des produits bon marché et/ou plus qualitatifs, en fonction des besoins de chaque citoyen. 

Au sein du Conseil de l’UE, qui réunit les Etats membres, la France, l’Allemagne et l’Italie se sont notamment prononcés contre une interdiction totale des rétrocessions. L’idée d’une interdiction partielle désormais sur la table y fait l’objet de désaccords. Pensez-vous que votre ligne sera majoritaire? 

Au Parlement en tout cas, j’espère qu’elle le sera. Car nous sommes sur la même longueur d’onde avec le groupe PPE (Parti populaire européen, centre-droit), bien que les Verts et les S&D (centre-gauche) militent pour une interdiction totale. 

Le délai semble très serré pour conclure cette réforme avant la campagne des élections européennes de juin 2024… 

 Oui, en effet, la contrainte de temps est très forte, c’est pourquoi je me fixe comme objectif que, déjà, la position du Parlement soit adoptée d’ici à la fin de la mandature, ce qui est parfaitement réalisable. Mon rapport est dévoilé aujourd’hui, et les différents amendements seront proposés d’ici fin octobre. Nous tablons ensuite sur un vote en commission fin janvier. L’idée aujourd’hui est de ne pas précipiter les choses. Il n’est pas question d’adopter un texte a minima, à la va-vite, sur des sujets si importants… 

Mais cela signifie que la version finale du texte serait ensuite négociée - en trilogue - entre le Conseil et le Parlement sous la prochaine mandature, avec donc un nouveau Parlement : n’est-ce pas une difficulté? 

Non cela se voit régulièrement, si les positions du Conseil et Parlement sont solidement ficelées, il n’y pas de difficulté à ce que le trilogue s’engage sur une nouvelle mandature. Le Conseil a entamé ses travaux et pourrait, je l’espère, avoir conclu sa propre position d’ici là. 

Vous proposez, dans votre rapport, d’instaurer une régulation européenne des «finfluenceurs». Expliquez-nous. 

Avec la digitalisation, une nouvelle génération d’investisseurs émerge, et cela est bien entendu une opportunité, mais sans la protection adéquate, il y a de sérieux risques. Le manque d’encadrement de ces «finfluenceurs» - sorte de «conseiller financier 2.0» - peut aboutir à des ventes trompeuses, des arnaques, avec un danger d’ailleurs démultiplié par le marché unique européen, car ces produits peuvent tout aussi bien être commercialisés en France, qu’à Chypre ou à Malte. La proposition initiale de la Commission me semblait trop timide sur ce sujet. J’aimerais pour ma part que l’on précise, à l’échelle européenne, les obligations et le régime de responsabilité applicable non seulement à ces «finfluenceurs», mais aussi aux entreprises qui font appel à leurs services. Je propose en outre que l’on crée une blacklist européenne de ces acteurs lorsqu’ils sont hors la loi.

L'article original ici.