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Le Figaro - La croisade de Clara Chappaz pour convaincre l’Europe d’imposer un contrôle de l’âge sur les réseaux sociaux - 11/07/2025

La croisade de Clara Chappaz pour convaincre l’Europe d’imposer un contrôle de l’âge sur les réseaux sociaux
« La France porte une voix forte sur l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Je ne lâcherai rien. Nous avons aujourd’hui la dynamique pour avancer ». En déplacement à Londres avec Emmanuel Macron , Clara Chappaz, ministre déléguée au numérique, n’hésite pas à reprendre son bâton de pèlerin. Depuis sa nomination en septembre dernier, elle a fait de l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans l’une de ses priorités . Le timing s’est accéléré en mai. « Je me donne trois mois pour convaincre mes homologues européens de faire de la vérification de l’âge un impératif », confiait alors Clara Chappaz au Figaro. Une première épreuve de vérité devrait avoir lieu ce lundi 14 juillet. La Commission européenne publiera ses lignes directrices pour la protection des mineurs en ligne, un texte - non contraignant juridiquement - prévu par le Règlement sur les services numériques (DSA) qui doit guider les plateformes (TikTok, Instagram, Snapchat…) au travers de différentes mesures comme le contrôle de l’âge.
Le sujet n’est pas nouveau. Emmanuel Macron en a fait l’un des leitmotivs de son deuxième mandat , dès le lendemain de la dissolution. Un sujet consensuel, au cœur des préoccupations des familles, qui permet au chef de l’État de peser sur la scène politique, tant à Paris qu’à Bruxelles. L’interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans faisait partie des recommandations de la « Commission écran », présentées en avril 2024. Le président, qui a d’emblée adopté cette idée, souhaite désormais voir la France aux avant-postes de la mobilisation. Il a réaffirmé sa position le mois dernier en réaction au drame de Nogent où une surveillante s’était fait poignarder par un jeune de 14 ans. « Je nous donne quelques mois pour arriver à faire la mobilisation européenne, sinon je négocierai avec les Européens pour qu’on commence à le faire en France », avait prévenu le chef de l’État, s’attirant les foudres de Bruxelles. Fin juin, il récidivait à l’issue d’un Conseil européen. « J’ai demandé à la Commission qu’elle puisse clairement établir une obligation pour les plateformes de vérifier l’âge de leurs utilisateurs pour l’accès aux réseaux sociaux », avait-il indiqué.
« Nous avions une fenêtre de tir unique »Sur le terrain, il a confié cette mission à sa ministre du numérique. « Quand j’ai pris mes fonctions, la protection des plus jeunes en ligne faisait clairement partie des priorités dont nous avons discuté, avec l’objectif de faire bouger les lignes rapidement », confie-t-elle. Mère de deux jeunes enfants, la ministre ne fait pas mystère de ses « convictions personnelles très fortes » sur le sujet. Elle évoque le « consensus scientifique » autour de l’influence des écrans sur la santé mentale. « Il n’y a pas un déplacement que je fais pour parler d’intelligence artificielle avec les Français qui ne dérive pas sur les réseaux sociaux, poursuit-elle. Toute la société est en demande d’action, les parents mais aussi les adolescents eux-mêmes, qui demandent eux-mêmes une régulation !».
Depuis le printemps, elle en a fait une véritable croisade personnelle. « C’est la première ministre du Numérique à ne pas se préoccuper uniquement des questions de start-up », se réjouit une sénatrice. Pour elle, la majorité numérique et le contrôle de l’âge vont forcément de pair. « Nous avons tous été enfants, nous savons qu’il est facile de contourner les règles », insiste-t-elle. L’obligation imposée aux sites porno de contrôler l’âge de leurs utilisateurs, même si elle a été suspendue depuis par le tribunal administratif de Paris, l’a convaincue qu’il n’y avait aucun obstacle technique pour le faire.
Clara Chappaz a d’emblée porté cette feuille de route au niveau européen. Car la ministre a retenu les leçons du passé. Votée à l’été 2023, la loi Marcangeli , qui visait à instaurer une majorité numérique (15 ans), n’est jamais entrée en vigueur faute de décrets d’application, retoquée par Bruxelles. « Clara Chappaz a compris qu’une énième loi française ne servirait à rien », témoigne le représentant d’une plateforme. Elle a donc profité du débat autour des lignes directrices pour la protection des mineurs pour avancer ses pions. « Nous avions une fenêtre de tir unique », raconte-t-elle.
La ministre déléguée s’attelle alors à convaincre, un à un, les autres États membres. De Strasbourg à Bruxelles en passant par Luxembourg, elle multiplie les réunions avec les eurodéputés et l’exécutif européen. « Je suis allée chercher le soutien de la Grèce, de l’Espagne et du Danemark », confie-t-elle. « Sans l’implication de la France qui est un grand pays de l’UE, nous n’en serions pas là, estime la députée danoise Christel Schaldemose, rapporteur du DSA, qui a reçu la ministre à Bruxelles le mois dernier. Ses positions tranchées et son engagement ont fait la différence. Elle a donné de la visibilité à ce sujet ». « Depuis qu’elle s’est saisie du sujet, les choses bougent », renchérit le porte-parole d’une plateforme.
Divergences politiques et différences culturelles
Début juin, elle publie un communiqué commun avec son homologue danoise dont le pays vient de prendre la présidence tournante de l’Union européenne . « La protection des mineurs est l’une des deux priorités de la présidence danoise, avec la simplification », se réjouit-elle, convaincue que cela crée un « momentum » pour agir. Une douzaine d’États membres rallie la position française. Fin juin, 21 ministres issus de 13 États membres publient une tribune. « Des mécanismes obligatoires de vérification de l’âge doivent être mis en œuvre sur tous les réseaux sociaux », martèlent-ils. Imposée au niveau européen, la majorité numérique pourrait ensuite être définie au niveau des États.
Mais la tâche n’est pas aisée. Il faut surmonter au sein même des délégations nationales et des groupes des divergences politiques. Et prendre en compte les différences culturelles. « Nous devons composer avec des États conservateurs comme la Pologne qui estiment que le contrôle parental est la clef, détaille Christel Schaldemose. La position des États varie aussi en fonction de leur niveau de digitalisation. Plus l’accès des jeunes à Internet et aux smartphones est important, comme en France, plus les opinions et la classe politique sont sensibles à ces enjeux ».
Le DSA reste, par ailleurs, exposé à de nombreuses pressions. « Il est aussi bien menacé par les omnibus à venir qui visent à simplifier le cadre réglementaire que par les pressions américaines qui pourraient réduire le texte à son plus simple appareil. Il reste, hélas, un moyen de pression dans la négociation sur les tarifs douaniers », s’inquiète Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne, très active sur la protection en ligne des mineurs. La faute, selon elle, à la frilosité de Bruxelles. « La Commission fait le service minimum, il n’y a pas de leadership politique. Or si la Commission qui doit appliquer le texte flanche, c’est la voie royale pour ne rien faire », déplore la députée. Elle regrette que Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive de la Commission chargée de la souveraineté technologique, doive « lever la main pour parler » et voie par ailleurs le combat en faveur d’une majorité numérique comme une « lubie française ». Clara Chappaz insiste, elle, pour évoquer des contacts « quasi quotidiens » avec le cabinet de la Commissaire et la « compréhension » mutuelle.
Affrontements entre plateformes
La ministre se retrouve également prise dans les affrontements entre plateformes, comme lundi dernier à Bercy où le ton est monté entre géants de la Tech lors d’une réunion de travail. D’un côté les réseaux sociaux, Meta en tête, qui estiment que le contrôle de l’âge doit être effectué par les magasins d’application, c’est-à-dire du côté de Google et d’Apple. De l’autre, ces derniers martèlent que le contrôle doit être effectué par les éditeurs d’applications, au moment de la création d’un nouveau compte. « Nous travaillons ensemble. Je salue les dernières avancées qui convergent vers le fait que chacun à un rôle à jouer. Mais je ne serai pas satisfaite jusqu’à ce que de vrais outils de vérification d’âge soient déployés», lâche la ministre.
Les lignes commencent à bouger. Google expérimente un nouvel outil de vérification de l’âge en Allemagne. Meta s’est finalement rallié ces derniers jours au principe d’une majorité numérique. Un changement qui s’explique notamment par « la méthode de travail portée par la ministre, exigeante et tournée vers la recherche de solutions concrètes avec l’ensemble des acteurs », selon Anton Maria Battesti, directeur des affaires publiques de Meta France.
Reste que le chemin est parsemé d’embûches. « Les lignes directrices ne sont qu’une première étape, estime Christel Schaldemose. Nous devrons envisager d’autres outils législatifs et sans doute donner plus de marge de manœuvre aux États membres. Cette bataille n’est pas terminée. Nous n’en avons pas fait assez pour protéger nos enfants ».