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Le Monde I Le Digital Markets Act entre en vigueur dans l’UE avec une contestation déjà vive contre Apple - 07.03.2024

Des acteurs du numérique dénoncent déjà le non-respect du règlement européen, entré en vigueur le 7 mars et destiné à soumettre les géants du secteur à des règles de concurrence. 

« Le 7 mars marque un véritable tournant pour notre espace numérique européen, car, à compter de cette date, les grandes plates-formes ne peuvent plus imposer leurs propres conditions, selon leur bon vouloir, à l’ensemble du marché, et notamment aux plus petits compétiteurs. » Thierry Breton, le commissaire européen au marché unique, célèbre ainsi l’entrée en vigueur du Digital Markets Act (DMA), le règlement destiné à soumettre les géants du numérique à des règles de concurrence. Cet enthousiasme n’est toutefois pas partagé par certains acteurs du secteur, qui tirent la sonnette d’alarme sur la mise en œuvre effective du texte. 

Six entreprises – Alphabet (Google), Amazon, Apple, Meta (Facebook, Instagram), Microsoft et ByteDance (TikTok) – devaient présenter, au plus tard mercredi 6 mars, des changements concernant vingt-deux de leurs services. Le réseau social X et le site de réservation d’hôtel Booking devraient bientôt les rejoindre, car ils remplissent eux aussi désormais les critères de taille fixés par le DMA (45 millions d’utilisateurs particuliers dans l’Union européenne ou 10 000 entreprises). 

Apple va donc ouvrir la porte à d’autres magasins pour télécharger des applications sur ses iPhone et à d’autres moyens de paiement. Le fabricant va aussi afficher aux utilisateurs de ses smartphones des écrans pour choisir leur navigateur ou leur moteur de recherche. Google devra faire de même sur les téléphones Android. L’idée est de pouvoir éviter les logiciels du fabricant comme Safari (Apple) ou Chrome (Google), et aussi de découvrir d’autres possibilités comme Opera ou Ecosia. 

Apple « tourne en dérision » le DMA 

Google, qui propose déjà des magasins d’applications tiers, devra aussi ouvrir davantage son moteur de recherche : pour les requêtes sur des hôtels ou des billets d’avion, le service fera ainsi apparaître, à côté de ses propres services de comparaison, ceux de concurrents. Dans le même esprit, Microsoft permettra dans Windows de désinstaller ses services Bing, Edge, Photos ou Cortana. 

Google va aussi demander à ses utilisateurs s’ils autorisent le croisement des données collectées par ses différents services, du moteur de recherche à YouTube (vidéo), en passant par Google Maps (cartographie) ou Gmail (e-mail). Meta devra faire de même pour Facebook, Instagram, WhatsApp ou Facebook Marketplace. Des demandes de consentement similaires seront émises par Microsoft ou le leader de l’e-commerce Amazon, pour ses services publicitaires. 

Ces changements s’ajoutent à des modifications antérieures faites par les géants du numérique sous la pression des autorités de concurrence ou en anticipation du DMA : Amazon s’est engagé à ne pas utiliser de données des commerçants de sa plate-forme pour vendre ses propres produits, ou à proposer davantage d’offres concurrentes sur son bouton « acheter ». Google a promis de ne plus abuser de sa position dominante pour favoriser ses services dans son offre publicitaire. 

« C’est un moment particulièrement réjouissant pour Opera et pour la scène technologique européenne dans son ensemble », s’est félicité le navigateur, dans un communiqué. Mais d’autres sont plus méfiants, voire inquiets. D’autant que les géants du numérique font, sur certains points, de la résistance : Apple et Microsoft ont ainsi obtenu d’exclure du DMA la messagerie iMessage et le navigateur Bing. 

« Le DMA prévoit que les entreprises concernées proposent leurs propres remèdes. Cela fait courir le risque d’une application a minima si les autorités n’exercent pas ensuite un vrai pouvoir de régulateur », met en garde Joëlle Toledano, autrice de GAFA. Reprenons le pouvoir ! (Odile Jacob, 2020). 

La contestation est déjà très vive contre les propositions d’Apple. Car l’entreprise veut imposer aux développeurs qui opteraient pour un magasin d’applications alternatif – dans le but d’éviter les commissions de 15 % à 30 % – de payer notamment 50 centimes d’euros pour chaque premier téléchargement annuel. 

« Inacceptable », a répondu l’application de musique Spotify, dont une plainte vient d’entraîner une amende de 1,8 milliard d’euros pour Apple. Le groupe à la pomme ignore « l’esprit et la lettre de la loi » du DMA, qu’il « tourne en dérision », ont dénoncé, dans une lettre, le 1er mars, trente-quatre entreprises et fédérations de développeurs, annonceurs ou médias. En croisade judiciaire contre Apple, Epic Games, l’éditeur du jeu Fortnite, a, lui, dénoncé, mercredi, la fermeture du compte développeur avec lequel il comptait lancer son propre magasin d’applications sur iPhone. 

« La Commission européenne joue sa crédibilité », insiste Andy Yen, fondateur du logiciel d’e-mail ProtonMail. Des hôtels et des sites d’e-commerce se plaignent aussi de voir les grands comparateurs favorisés sur Google en raison du DMA. 

La Commission, dotée de 80 personnes pour le DMA, assure être déterminée à appliquer le texte. Les entreprises sont invitées à présenter leurs mesures aux parties prenantes lors d’ateliers, du 18 au 26 mars. La Commission pourra ensuite leur demander des ajustements, voire, si le manquement est jugé trop important, ouvrir une procédure de sanction, pouvant mener à des amendes de 10 % à 20 % du chiffre d’affaires. Les solutions proposées ne doivent pas « dissuader »les utilisateurs, a prévenu la commissaire à la concurrence, Margrethe Vestager, sur Bloomberg TV, ajoutant que « la structure des tarifs » devait permettre les alternatives. 

Le risque est que l’application du DMA génère des recours des géants du numérique, tentés de jouer la montre, met régulièrement en garde la députée (Renew Europe) Stéphanie Yon-Courtin. Et de souligner un autre défi du DMA : celui-ci devrait, selon elle, intégrer au plus vite de nouvelles catégories, comme les assistants d’intelligence artificielle ou les services aux entreprises dans le cloud.

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