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Le Echos I Protection des épargnants : le projet européen menacé

La Commission européenne avait publié en mai un projet visant à réduire le coût des produits d'épargne et à en améliorer la transparence. Les amendements proposés au Parlement reviennent sur chacune des mesures - pourtant déjà timides -, au risque de vider la réforme de sa substance. 

La « retail investment strategy », l'initiative de la Commission européenne qui visait à renforcer la protection des épargnants, sera-t-elle bientôt totalement vidée de sa substance ? Le texte qui doit être adopté avant avril, dans la perspective des élections européennes de juin prochain, s'éloigne de plus en plus de son ambition initiale. 

En mai dernier, la Commission européenne sous l'impulsion de la commissaire aux Services financiers Mairead McGuiness, avait présenté plusieurs propositions visant à améliorer le sort des épargnants. Mais dans un projet de rapport publié le mois dernier, la rapporteure principale au Parlement, la députée Stéphanie Yon-Courtin du groupe Renew Europe, a soumis des amendements qui détricotent une à une ces mesures. Pourtant, Bruxelles avait déjà largement ménagé les intérêts de l'industrie, en refusant de bannir le système de rétrocessions qui pèse sur le coût des investissements dans un grand nombre de pays européens, dont la France et l'Allemagne. 

Les rétrocessions sont des frais versés par les sociétés de gestion aux distributeurs qui vendent leurs produits. Autant de coûts imputés aux épargnants qui se voient, en plus, proposer les produits les plus chers du marché, plus rémunérateurs pour les distributeurs. Cette situation explique notamment la faible percée des ETF, ces fonds indiciels cotés « low cost », sur le Vieux Continent. 

Lettre aux parlementaires 

La Commission européenne a limité l'interdiction de ces rétrocessions aux produits vendus directement, sans conseil. C'est encore trop pour la rapporteure principale du texte au Parlement. 

La députée suggère par ailleurs un prolongement de la clause de non-revoyure de la réglementation pendant cinq ans, et non trois ans, comme l'avait proposé Bruxelles, après la transposition de la directive dans les parlements nationaux. Autrement dit, si le texte était voté avant juin, sa révision n'aurait pas lieu avant 2030, au moins. 

Les amendements ont été extrêmement bien accueillis par les professionnels et notamment l'Association de la gestion financière (AFG). En coulisse, il se dit que même l'industrie financière n'en espérait pas tant. De leur côté, les associations de protection des épargnants se sentent bafouées. Better Finance, BEUC, Finance Watch et l'association de défense de l'environnement WWF ont écrit une lettre aux rapporteurs parlementaires. 

Equilibre politique 

« Toutes les propositions de la Commission qui apportaient une valeur réelle aux consommateurs, à l'environnement et à la société ont été retirées sans qu'aucune alternative appropriée ne soit présentée », déplorent les associations. 

« C'est un très mauvais signal pour les épargnants, compte tenu de l'équilibre politique au Parlement européen ; le groupe Renew était d'habitude assez favorable aux investisseurs individuels », déplore Guillaume Prache, fondateur de Better Finance. Le parti figure en troisième position dans cette législature, derrière le PPE de centre droit et les sociaux-démocrates. 

Outre le sujet des rétrocessions, les associations s'indignent de la remise en question de la proposition de « value for money », un dispositif permettant davantage de transparence et de lien entre la performance des produits financiers et leur coût. Une façon d'exclure les produits les plus chers qui ne présentent aucune valeur ajoutée. 

 « La 'value for money' réduirait la diversité des produits et supprimerait l'innovation », lit-on dans le rapport de Stéphanie Yon-Courtin, qui insiste, elle, sur l'amélioration de l'éducation financière des citoyens et l'encadrement des influenceurs. « Le problème est surtout le peu d'intérêt des citoyens européens pour ces placements, ils n'investiraient pas plus si les produits étaient moins chers », explique-t-elle aux « Echos ». 

Investissement durable 

Dans le cadre de cette réforme, elle a rencontré une dizaine d'organisations de l'industrie financière (AFG, Crédit Mutuel, Crédit Agricole, European Fund and Asset Management Association, etc.), mais aucune association d'épargnants et de consommateurs, d'après le registre du Parlement européen. 

La proposition de « value for money » n'était pourtant déjà qu'une demi-mesure. L'exemple des Pays-Bas montre que rien ne vaut la suppression des rétrocessions. « Le ministère des finances néerlandais a mis en place près d'une quinzaine de réformes pour améliorer la transparence des produits financiers, mais aucune n'a été suffisante pour améliorer réellement la performance des produits proposés aux épargnants ; il a donc décidé d'interdire les rétrocessions en 2013 », relate Steffen Sebastian, professeur au centre de finance de l'Université de Regensburg, en Allemagne. 

Enfin, - et cela explique la présence de WWF dans la missive adressée aux députés - le rapport identifie les critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans les produits financiers comme un facteur de coût. « Cela est complètement infondé. La durabilité et l'intérêt des consommateurs ne sont pas des objectifs opposés mais complémentaires et une vaste majorité de consommateurs souhaite investir de façon responsable », plaident les associations. 

Hormis en 2022, année terrible pour les fonds répondant aux critères ESG en raison de l'envolée des valeurs pétrolières et de la correction des « techs », les fonds durables n'ont pas eu souvent à rougir de leur performance. Et selon une étude de l'ESMA, le gendarme boursier européen, réalisée sur les chiffres de 2021, les frais des fonds ESG sont inférieurs aux autres, à l'exception des ETF.

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