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Le Nouvel Obs I Chronique : Rémunérer les utilisateurs en fonction de leur dépendance, nouvelle provoc de TikTok - 22.04.2024

Le réseau social chinois a lancé une nouvelle version de son application, TikTok Lite, qui rémunère ses utilisateurs pour leur temps d'écran, au risque de les rendre encore plus accros. 

Est-ce de l'inconscience ? De la provocation ? Ou un ballon d'essai pour tester un rapport de force politique ? Alors qu'il est déjà menacé d'interdiction aux Etats-Unis et de sanctions en Europe, le réseau social TikTok, propriété du chinois ByteDance, a lancé à la fin du mois de mars une version encore plus addictive de son application. Appelé TikTok Lite, ce service disponible en France et en Espagne, et abondamment vanté sur le réseau par les tiktokeurs, propose exactement le même contenu que TikTok... mais rémunère les utilisateurs en fonction de leur « engagement ». 

Concrètement, plus ils passent de temps devant l'écran, plus ils scrollent, plus ils likent, plus ils invitent leurs amis et partagent des contenus, et plus ils gagnent de points, monnayables en véritable argent. L'ensemble est clairement conçu pour créer de la dépendance. L'utilisateur voit en temps réel des pièces jaunes d'or, marquées d'un « P », s'amasser dans sa « boîte de récompenses ». Il est encouragé par de multiples messages du type « Connecte-toi tous les jours pendant dix jours et reçois 4 500 P ! »Et son attention est rétribuée, à raison de 150 P pour 1 minute, jusqu'à 4 200 P pour 25 minutes. Ces pièces virtuelles peuvent ensuite être transformées en bons d'achat chez Amazon, ou servir à envoyer des cadeaux à des tiktokeurs de leur choix. 

Bas les masques : TikTok, qui a 150 millions d'utilisateurs en Europe, dont 20 millions en France, propose carrément d'acheter leur « temps de cerveau disponible » - selon la célèbre formule de Patrick Le Lay, ex-patron de TF1 - pour mieux le revendre aux publicitaires ! Avec un taux de change de 1 centime d'euro pour 100 points, impossible bien sûr de faire fortune sur TikTok Lite. En revanche, cette nouvelle fonctionnalité risque de remplir son seul objectif : scotcher davantage encore les utilisateurs devant l'appli... A l'heure où la France se préoccupe, à juste titre, de la surexposition des jeunes aux écrans, ce lancement a des allures de pied de nez. « Concernant l'usage des écrans à la maison, nous sommes proches d'une catastrophe sanitaire et éducative chez les enfants et les ados », s'était récemment inquiété un ministre de l'Education du nom de... Gabriel Attal. L'actuelle secrétaire d'Etat chargée du Numérique, Marina Ferrari, a qualifié TikTok Lite de « dérive incontestable », et l'eurodéputée Renew Stéphanie Yon-Courtin a dénoncé une « véritable prime au vice ». 

Temps d'écrans, réseaux sociaux, IA... Sommes-nous devenus plus bêtes ? Réactive, l'Union européenne a menacé de bloquer cette nouvelle fonctionnalité dès jeudi 25 avril, si ByteDance ne se conforme pas au Digital Services Act (DSA), qui exige pour tout nouveau service numérique un « rapport d'évaluation des risques ». Et le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, de faussement plaisanter sur X : « Un média social "lite" est-il aussi addictif et toxique que les cigarettes "light" ? » Bruxelles a d'ailleurs déjà lancé, en février, une enquête pour examiner la conformité de TikTok au DSA, concernant notamment la protection des mineurs, la transparence de la publicité et la gestion des risques liés aux contenus préjudiciables. Tandis qu'en France, une commission du Sénat a proposé de bloquer l'application, et les parents d'une jeune fille qui s'est donné la mort après avoir été harcelée ont porté plainte contre l'application, notamment pour « provocation au suicide ». 

ByteDance a beau jeu de rétorquer que la version « Lite » de TikTok est réservée aux plus de 18 ans, que le temps de visionnage rétribué est plafonné (de 60 à 85 minutes par jour), et qu'une carte de crédit est exigée pour la monétisation des points. Il est aisé de contourner ces mesures. Notons que le groupe chinois n'a pas lancé son service Lite aux Etats-Unis, où la Chambre des Représentants vient de voter une loi visant à interdire l'application pour des raisons de souveraineté numérique. Un bannissement qui serait pourtant impopulaire auprès des 170 millions d'abonnés américains. Selon une étude du Centre for Economic Policy Research, il faudrait, en moyenne, payer 59 dollars par mois un étudiant d'université pour le convaincre de désactiver son compte TikTok, contre 47 dollars pour Instagram. Vous avez dit « accro » ?

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