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L'Agefi I L’antitrust européen se raidit sur le numérique

Le régulateur européen s’active dans ses dossiers en cours du secteur technologique. A l’approche de l’entrée en vigueur de la législation sur les marchés numériques (DMA) le 7 mars prochain, Amazon, Apple et consorts ont engagé les grandes manœuvres. 

Enorme surprise : le régulateur antitrust de l’Union européenne pourrait bloquer le projet d’acquisition à 1,4 milliard de dollars (1,29 milliard d’euros) de iRobot par Amazon, rapportaient le Wall Street Journal et Bloomberg, vendredi 19 janvier. En réaction, le cours de Bourse du fabricant d’aspirateurs Roomba plongeait de 30% vendredi. 

Rien ne laissait imaginer, a priori, qu’Amazon rencontrerait de telles difficultés, lorsqu’il avait annoncé ce projet d’acquisition en août 2022 , lui qui voulait juste élargir son portefeuille d’appareils autour de la robotique. Même la Competition and Markets Authority (CMA) britannique avait donné son feu vert en juin 2023. Mais un mois plus tard, la Commission européenne annonçait l’ouverture d’une enquête approfondie, craignant, déjà, que cet accord ne permette à Amazon de restreindre la concurrence en profitant de sa gigantesque plateforme de e-commerce. 

L’entrée en vigueur du DMA, nouvelle étape pour l’antitrust 

iRobot n’est que le dernier exemple en date, révélateur des tensions exacerbées autour des dossiers sensibles qui s’empilent sur le bureau de l’antitrust européen. Au premier chef figurent ceux de plusieurs géants technologiques américains. 

Et ce plus encore avec l’entrée en vigueur, à compter du 7 mars, du nouveau règlement sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA), une législation historique – et contraignante -, qui introduit des règles plus strictes pour endiguer les pratiques anticoncurrentielles dans l’UE. 

Dans un premier temps, six géants du numérique – Apple, Alphabet (Google), Amazon, Meta (Facebook), Microsoft, ainsi que le chinois ByteDance, propriétaire de TikTok – y seront soumis. Car ils ont été retenus par Bruxelles en tant que gatekeepers (contrôleurs d’accès) – ces plateformes numériques valorisées à plus de 75 milliards d’euros en Bourse ou qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 7,5 milliards d’euros en Europe. Accessoirement, s’ils n’honorent pas leurs engagements, la Commission peut leur infliger une amende pouvant aller jusqu'à 10% de leur chiffre d’affaires annuel mondial, sans avoir à prouver l’existence d’une quelconque violation des règles de concurrence de l’UE. 

Certes, tout n’est pas encore joué pour Amazon dans le dossier Roomba. Bruxelles doit rendre son avis définitif d’ici au 14 février. Mais le géant américain du e-commerce n’aurait proposé aucune alternative au régulateur antitrust avant la date limite du 10 janvier. Au lieu de cela, il préparerait déjà une contestation judiciaire de la décision de la Commission, selon l’agence Bloomberg. «C’est dans la ligne de la stratégie de défense de plusieurs Big Tech américains – qui consiste à ne pas lâcher de concessions devant la Commission européenne, à assumer d’aller au contentieux pour faire en sorte que leur business model soit valide», estime Pierre Zelenko, avocat associé au cabinet Linklaters. Dans le cas d’Amazon, «ce dossier iRobot va donner le ‘la’ de toutes ses acquisitions futures – il préfère peut-être plutôt prendre le risque de ne pas réaliser celle-ci, pour ne pas concéder d’engagements qui serviraient ensuite de référence», poursuit-il. 

Raidissement à Bruxelles 

L’évolution possible des régulateurs sur ce dossier iRobot révèle la position plus absolutiste qu’ils tiennent sur ces projets de rachat par des Big Tech. Sans quelque «esprit protectionniste, la Commission européenne a une analyse technique : elle voit que ces marchés [du secteur tech] sont devenus des portes d’entrées presque incontournables pour n’importe quel secteur. Si elle laisse passer des infractions au droit de la concurrence dans ce secteur, elles peuvent avoir un impact significatif pour d’autres», analyse Pierre Zelenko. 

L’an dernier, pour arracher un feu vert à son rachat de l’éditeur de jeux vidéo Activision à 69 milliards de dollars, Microsoft a dû s’engager à partager des titres phares avec Sony ou Nintendo. 

Déjà le dossier Adobe-Figma a donné la température. En décembre dernier, l’éditeur de logiciels Adobe a renoncé à son projet de rachat à 20 milliards de dollars du fabricant de logiciels de conception Figma, faute de «voie claire» pour les approbations antitrust. Bruxelles estimait que le rachat de Figma par Adobe nuirait à la concurrence. «Adobe a préféré ne pas aller jusqu’au bout, et ne pas perdre d’argent et d’énergie à monter des dossiers pour le défendre. C’est aussi un moyen de dire que les autorités de la concurrence sont trop sévères», lâche un observateur. 

Apple lâche du lest dans le paiement 

Un autre exemple de géant technologique dans le viseur de Bruxelles? Apple. La firme de Cupertino, pourtant peu encline à la négociation, vient de lâcher du lest sur un dossier brûlant, celui de l’accès à des paiements alternatifs. La Commission européenne l’accusait de brider la concurrence sur ses iPhone avec son application Apple Pay. Apple permettra à des systèmes concurrents de son système maison Apple Pay d’accéder gratuitement à la fonctionnalité NFC, qui permet la communication entre les appareils et les terminaux de paiement dans les magasins. «Apple créerait un ensemble d’interfaces nécessaires (API) pour permettre un accès équivalent aux composants NFC», a annoncé la Commission dans un communiqué, vendredi 19 janvier. 

Le contentieux est ancien : l’exécutif européen avait ouvert une enquête en juin 2020 après des plaintes de banques européennes. Désormais, lorsque les consommateurs utiliseront leur appareil mobile pour payer, ils pourront choisir entre Apple Pay ou une application autorisée par iOS, a expliqué Apple. Quant aux développeurs de solutions de paiement basés en Europe, ils pourront bientôt utiliser le paiement instantané en magasin sans avoir à passer par Apple Pay. 

Bruxelles va aussi s’attaquer à d’autres dossiers chauds. D’abord, toujours concernant Apple, mais aussi Alphabet, Bruxelles cible leurs gigantesques boutiques d’applications mobiles respectives, AppStore et Google Play. Elle a adressé à chacune une demande sur le sujet le 14 décembre dernier. 

A partir du 9 mars, DMA oblige, Apple va devoir ouvrir son système d’exploitation mobile iOS à des magasins d’applications autres que son App Store. Pour ce faire, Apple aurait mis en place depuis plusieurs mises à jour d’iOS des options permettant de déterminer où se trouve un utilisateur, selon l’agence Bloomberg. En clair, en Europe, il sera possible d’installer un magasin d’application alternatif à l’App Store, mais ce ne sera pas le cas aux Etats-Unis. 

Microsoft est aussi dans les radars de Bruxelles. En particulier à propos de son partenariat avec la société OpenAI, à l’origine de l’outil conversationnel ChatGPT. «La Commission vérifie si l’investissement [de 13 milliards de dollars, ndlr] de Microsoft dans OpenAI peut faire l’objet d’un examen au titre du règlement communautaire sur les concentrations», a annoncé l’exécutif européen, le 9 janvier dernier . 

Et ce n’est que le début : la crainte de voir cette technologie dominée par une poignée d’acteurs mobilise déjà, de Bruxelles à l’antitrust français. Le 16 janvier, la députée européenne Stéphanie Yon-Courtin (Renew Europe) a demandé devant le Parlement européen que les services d’IA et les assistants personnels de type ChatGPT soient intégrés au DMA.

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