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Le Monde I Intelligence artificielle : la France n’a pas renoncé à assouplir l’AI Act
Selon nos informations, Paris cherche à infléchir certains points de l’accord trouvé sur le règlement européen de l’intelligence artificielle et critiqué, lundi 11 décembre, par Emmanuel Macron.
Vendredi 8 décembre, au terme d’un marathon de trente-cinq heures de négociations tendues, les institutions européennes ont, en principe, mis fin à quatre ans de processus législatif autour de l’AI Act. Mais, pour la France, l’accord politique trouvé sur le règlement européen de l’intelligence artificielle (IA) ne clôt pas les débats. Selon nos informations, Paris espère, dans les réunions techniques qui ont commencé la semaine du lundi 11 décembre, infléchir les modalités d’application de certains points du texte : ceux-ci concernent la régulation des modèles d’IA capables de créer du texte ou des images, comme ceux des américains OpenAI ou Google, mais aussi de start-up françaises comme Mistral AI ou LightOn.
Fait inhabituel, le ministre délégué au numérique, Jean-Noël Barrot, a, dès samedi 9 décembre au matin, relativisé le compromis scellé sur l’AI Act, qualifié de simple « étape ». « Il faut éviter d’écraser les innovateurs européens sous une réglementation trop lourde, donc nous allons examiner très attentivement l’accord trouvé cette nuit », a-t-il prévenu sur France Inter, anticipant « les discussions qui vont nécessairement se poursuivre pour régler un certain nombre de détails ».
« Le texte a été agréé. Il n’est plus ouvert à la discussion », lui a rétorqué, le 10 décembre, dans La Tribune Dimanche, le commissaire européen Thierry Breton. Sur les modèles d’IA concernés, un « équilibre » a été trouvé grâce à la réaction « d’un certain nombre d’Etats membres, dont la France et l’Allemagne », alors que la position initiale du Parlement européen était « trop radicale », a-t-il estimé.
Protéger les secrets d’affaires
Mais, lundi 11, Emmanuel Macron a réitéré les critiques françaises. « Ce n’est pas une bonne idée de réguler les modèles de fondation plus que les autres » pays, comme le Royaume-Uni, a déclaré le président de la République, en déplacement à Toulouse. « Si on perd des leaders ou des pionniers de l’IA à cause de ça, il faudra y revenir », a-t-il ajouté.
Concrètement, selon nos informations, le gouvernement s’inquiète de l’obligation faite aux fabricants de modèles d’IA de « rendre public un résumé suffisamment détaillé » des données utilisées pour entraîner leurs logiciels. « Accéder à une transparence complète (…), notamment des adresses des pages Web utilisées, reviendrait à signer la mort de l’entreprise », a estimé, lundi, le fondateur de Mistral AI, Arthur Mensch, dans Les Echos. Et « 95 % du savoir-faire technologique de Mistral, c’est la composition de sa base de données », a-t-il assuré.
Paris souhaite une solution qui protégerait ces secrets d’affaires, par exemple, en réservant la communication des données au futur bureau européen de l’IA. Ce dernier agirait en tiers de confiance : il pourrait renseigner les ayants droit inquiets de savoir si leurs contenus ont été utilisés par des IA, mais il ne partagerait pas ces informations avec les entreprises concurrentes.
« Trouver un équilibre »
En outre, Paris juge trop bas le seuil à partir duquel les plus grands modèles d’IA sont considérés comme « systémiques » et soumis à des obligations renforcées d’évaluation et d’atténuation des risques. Paris aimerait faire relever le critère de puissance de calcul informatique retenu (10 puissance 25 flops, soit dix fois moins que celui inscrit dans un récent décret des Etats-Unis), ou alors trouver des moyens de le faire réévaluer, éventuellement avec d’autres indicateurs.
Egalement mobilisé, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a, selon nos informations, évoqué l’AI Act, mardi 12 décembre, dans un échange avec son homologue italien, Adolfo Urso.
Cette nouvelle charge de Paris pourrait susciter des résistances des députés européens, alors que la France a, ces derniers mois, été accusée de s’opposer à certaines mesures de l’AI Act dans le seul objectif de protéger sa start-up Mistral, conseillée par l’ancien secrétaire d’Etat Cédric O. Mais la démarche française est soutenue par Meta (Facebook, Instagram) ou Google.
« Il faut trouver un équilibre pour que la régulation ne soit pas une source de désavantage compétitif pour les entreprises d’IA européennes, sans remettre en cause l’esprit de l’accord », résume la députée européenne Stéphanie Yon-Courtin (Renew Europe). Les réunions « techniques » prévues jusqu’en janvier, avant la ratification du texte, s’annoncent houleuses.
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