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Euractiv I France « boulimique » contre Allemagne « frugale » : dernière bataille sur la réforme budgétaire européenne
En avril, la Commission européenne a présenté une révision du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), dont l’objectif est de fixer des règles afin que convergent les niveaux de dette et déficits publics des États membres.
Contrairement aux anciennes règles, accusées de plomber la croissance économique, de ralentir les investissements et de soutenir les politiques d’austérité, la réforme en cours de négociations tente de donner aux États membres une plus grande marge de manœuvre afin d’investir dans la double transition verte et numérique.
Des programmes de réduction de dette seront élaborés pour les pays dont les niveaux de dette publique dépasseraient 60 % de leur PIB, et les niveaux de déficit plus de 3 % de leur PIB.
Ces programmes seraient mis en place pour une durée minimale de quatre ans, avec une possibilité d’extension à sept ans si les pays s’engagent à faire des réformes structurelles ou à financer des secteurs critiques, comme la défense ou la transition écologique.
C’est sans compter l’Allemagne, qui a imposé l’adoption de « critères numériques » de réduction de dette et de déficit publics uniformes, au grand dam de la France, qui craint à un retour sans équivoque de l’austérité en Europe.
Accélérer la cadence
Alors que les négociations sont en passe d’aboutir suite au sommet exceptionnel des ministres des finances européens prévu le 19 décembre, plusieurs hauts responsables politiques français ont vu rouge et n’hésitent plus à frapper du poing sur la table.
« On ne peut pas être à la fois un ami du marché intérieur et ‘frugal’ », lançait lundi (11 décembre) le commissaire européen en charge du marché unique et ancien ministre français Thierry Breton, lors d’une conférence organisée par l’Institut Jacques Delors.
L’Allemagne est connue au sein de l’UE pour être le fer de lance des États membres dits « frugaux », c’est-à-dire particulièrement à cheval sur l’orthodoxie budgétaire et le contrôle des dépenses publiques.
Selon M. Breton, le financement de la transition écologique ne doit pas uniquement reposer sur les capacités budgétaires des États membres : « Il nous faut des mécanismes globaux [de financement, tel un nouvel emprunt européen commun], pour ne pas reposer sur des pressions fiscales nationales ».
Quelques jours avant lui, c’est le ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui tentait de remettre les points sur les i. «L’austérité ne fait pas un projet politique pour l’Europe », martelait-il lors d’une conférence à Bercy le 5 décembre.
« Alors, on ne va pas nous dire « écoutez, vous devez rétablir vos finances publiques pendant 3 ans ou 4 ans [pendant lesquels] vous n’avez droit à aucun investissement climatique […], sur la sécurité [ou] l’industrie verte parce que vous devez d’abord, en priorité absolue, rétablir vos finances publiques ». Ce sera non. » Même le président de l’Autorité de la concurrence, Benoît Cœuré, pourtant souvent sur la réserve, a déploré lors de la même conférence Jacques Delors que les « débats [européens] sur les finances publiques sont les pires » et qu’une dépendance totale aux finances publiques nationales pour financer la transition verte n’était en aucun cas « soutenable ».
Ainsi la France redouble d’efforts pour rééquilibrer un texte qui, selon elle, donne trop d’importance aux positions allemandes. Bercy sait aussi qu’avec le réenclenchement des règles budgétaires au 1er janvier 2024, qui avaient été suspendues suite à la crise de la Covid-19, le pays, plombé par un déficit public de 4,9 % en 2023, se retrouverait automatiquement sous le coup d’une procédure de déficit excessif (PDE).
La Commission européenne peut déclencher une PDE pour obliger les États membres à réduire des déficits jugés excessifs. Les pays concernés doivent alors présenter des plans de réduction clairs et rapides, au risque de se voir infliger une amende.
« But de guerre »
Le Conseil « Affaires économiques et financières » (ECOFIN) qui s’est tenu la semaine dernière a montré que la France savait hausser le ton face à l’Allemagne.
La dernière proposition de la présidence espagnole du Conseil de l’UE, présentée quelques jours avant la réunion ECOFIN et obtenue par Euractiv, crée une nouvelle clause de « résilience du déficit », selon laquelle les pays les plus endettés devraient réduire leur déficit à moins de 1,5 % du PIB par rapport à la règle des 3 % ancrée dans les traités européens.
En outre, les pays sous le joug d’une PDE seraient contraints de réduire leur déficit de 0,5 % du PIB chaque année.
Face à ces « critères numériques » jugés trop contraignants, la France, sous l’impulsion de M. Le Maire, aurait présenté une contre-proposition, soulignent plusieurs sources à Euractiv. Cette contre-proposition – un « but de guerre », selon l’entourage du ministre – permettrait à tout pays dépassant la barre des 3 % et sous le coup d’une PDE de réduire son déficit à un rythme plus lent que 0,5 % par an, et ce jusqu’en 2027.
« Un groupe de pays, mené par la France, a souhaité exclure la charge de la dette et les dépenses d’investissement vert du calcul [des] 0,5 % […]. Les intérêts sur la dette française devraient augmenter de 0,2 % à 0,3 % du PIB par an» suite à l’augmentation des taux, précise le think-tank Bruegel dans une note publiée mardi (12 décembre).
Selon les projections de Bercy, le déficit public devrait passer sous la barre des 3 % en 2027, pour atteindre 2,7 %.
Un tel compromis, s’il était adopté – plusieurs États membres étant encore ouvertement réticents, l’Allemagne en premier chef – permettrait « aux États membres de s’engager vers la réduction de la dette pour la stabilité financière de l’UE sans mettre en péril les capacités d’investissements et de réforme d’aujourd’hui et de demain », affirme à Euractiv Stéphanie Yon Courtin, députée européenne et cheffe de file du groupe Renew sur les questions économiques et financières.
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