Actualités

Tensions sur la pêche post- Brexit à Jersey : « Ce qu'il se passe en ce moment, c'est inédit »

© 2021 Le Nouvel Observateur - All rights reserved.

Quatre mois après la conclusion de l'accord post-Brexit, la situation s'est tendue entre Londres et Paris sur la question de l'accès des pêcheurs français aux eaux britanniques. Jeudi matin, une cinquantaine de bateaux de pêche français se sont réunis en signe de protestation devant le port de Saint-Hélier, la capitale de l'île anglo-normande de Jersey.

De Carteret d'où il est originaire, par beau temps, on distingue les maisons de Saint-Hélier, le port de la petite île de Jersey, à 15 miles nautiques de là, soit environ une heure de navigation. C'est dans les eaux tranquilles de la baie du caillou britannique que Romain Davodet, 40 ans, pêche depuis quinze ans les plus beaux homards bleus, bulots et autres tourteaux, qui partiront ensuite sur les tables des grands chefs français : Alain Ducasse, Guy Savoy, Pierre Troisgros... Chaque année, sa petite entreprise dégage entre 250 000 et 300 000 euros de chiffres d'affaires. Une jolie réussite pour celui qui a intégré le très fermé Collège culinaire de France, une institution de la culture gastronomique française, en 2017. Mais ça, c'était avant. Avant que le Brexit vienne perturber les prises poissonneuses au large de la baie de Granville. Avant que l'île anglo-normande remette en cause les accords commerciaux qui régissaient l'activité des pêcheurs et leurs rapports dans la zone maritime. « Ce qu'il se passe en ce moment, c'est inédit. En quinze ans, je n'ai jamais vu ça, raconte Romain Davodet. Avant, on se partageait les ressources entre les Etats, en bonne camaraderie et en bonne intelligence, conformément à la Politique commune de la pêche (initiée en 1983 dans l'Union européenne, NDLR) ». Une quarantaine de bateaux côté britannique.

Environ 200, côté français, pour la Normandie et le Cotentin : une pêche artisanale et locale principalement, en circuit court. « Ici, on ne pratique pas de pêche industrielle. Quasiment tous les pêcheurs sont indépendants et propriétaires de leur bateau », explique-t-il. « Que l'Angleterre arrête d'être de mauvaise foi » Le Brexit est venu bouleverser cette belle entente. Le 30 avril, le Royaume-Uni a publié une liste de 41 navires, sur 344, désormais autorisés à pêcher. Avec de nouvelles exigences, comme de nouveaux zonages de pêche, et des restrictions, en termes d'espèces et de nombres de jours de pêche par exemple. « En résumé, où est-ce qu'on peut toujours aller pêcher et où ça devient interdit. Tout ça, sans aucune concertation ni accords préalables depuis la sortie du Royaume-Uni de l'Union le 1er janvier dernier ». S'il suit ces restrictions, Romain Davodet, comme la plupart des pêcheurs côté français, perdra la moitié de son chiffre d'affaires. « Nous, ce qu'on veut, c'est pouvoir faire notre travail normalement. Que l'Angleterre arrête d'être de mauvaise foi ».

En manifestant ce jeudi 6 mai devant le port de Saint-Hélier, les pêcheurs ont voulu « marquer le coup ». Pacifiquement. « Ça n'était pas du tout un "blocus", encore moins une déclaration de guerre comme on a pu le lire dans plusieurs journaux anglais ». S'il se réjouit du soutien de la ministre de la Mer Annick Girardin, qui a évoqué des « mesures de rétorsion » au cas où les autorités britanniques continueraient à restreindre l'accès des pêcheurs français, Romain Davodet s'inquiète pour les jours à venir et se dit prêt à se mobiliser à nouveau. Stéphanie Yon-Courtin est une eurodéputée française (LREM). Elle est aussi une enfant de la région normande, originaire de Coutances où elle est élue locale et soutient ardemment les pêcheurs français.

Au téléphone, celle qui est également membre de la Commission des Pêches de l'Union européenne, nous a raconté la tournure des événements, côté Europe cette fois : « Le 29 avril, on a ratifié l'accord de commerce et de coopération sur la pêche entre le Royaume-Uni et l'Europe (conclu fin décembre, NDLR), tout se déroulait comme prévu. Jersey s'était engagé à délivrer des licences aux pêcheurs, comme il était convenu. En découvrant le lendemain, la fameuse liste et ses restrictions, tout le monde est tombé de haut ». S'il le faut, Bruxelles appliquera donc des mesures de rétorsion, prévues dans l'article 10 de l'accord, qui précise les modalités d'accès aux eaux de Jersey. Parmi ces dernières, la suspension de l'accès aux eaux européennes pour Jersey. OEil pour oeil... De son côté, le gouvernement de Jersey assure avoir « octroyé les licences de pêche conformément à l'accord commercial ». Ce dernier prévoit une période de transition jusqu'à l'été 2026, date à partir de laquelle les pêcheurs européens renonceront à 25 % des captures dans les eaux britanniques.