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La Tribune - Accord commercial : la menace plane - 29/07/2025toujours sur les lois numériques européennes - 29/07/2025

Accord commercial : la menace plane toujours sur les lois numériques européennes
Des droits de douane plus élevés, mais l'assurance que nos lois régulant les géants du numérique américains ne seront pas remises en question. Le nouvel accord commercial conclu entre l'Union européenne (UE) et les États-Unis le 27 juillet - qui prévoit des droits de douane de 15 % et 1,3 milliard de promesses d'achats d'hydrocarbures, de matériel militaire américains et d'investissements - aurait pu être l'occasion de réaffirmer la souveraineté réglementaire de l'UE dans le domaine du numérique. D'autant plus que Donald Trump multiplie les attaques contre les textes de lois comme le Digital Markets Act (DMA), le Digital Services Act (DSA) ou l'AI Act, et accuse les sanctions européennes à l'égard des Big Tech d'être une « forme d'imposition » et de l'« extorsion ».
Une ligne rouge pas vraiment tracée par Ursula von der Leyen Mais même sur ce point, l'Union n'a pas définitivement gagné. Pourtant, Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission, avait il y a quelques semaines affirmé qu'elle ne céderait pas sur le DMA et le DSA, et que les textes ne seraient pas « sur la table des négociations ».
Ainsi, le Financial Times, qui raconte les coulisses de cet accord, explique qu'elle aurait bien fait de la préservation du droit à réguler, notamment le numérique, l'une de ses priorités. « Certains membres de la direction du commerce de la Commission considéraient l'accord comme un différend commercial classique et prônaient des mesures de rétorsion, mais Ursula von der Leyen devait prendre en compte une vision plus large, ce qui a motivé sa prudence et son aversion au risque », commente auprès du quotidien britannique Mujtaba Rahman, directeur Europe du cabinet Eurasia Group. Mais cette ligne n'aurait pas été suffisamment tracée selon certains observateurs.
« Il n'y a pas eu de point spécifique sur la régulation », souligne la députée européenne (Renaissance) Stéphanie Yon-Courtin. « Nous ne sommes pas à l'abri d'un retour en arrière sur les textes de loi. C'est un équilibre très fragile. Cet accord est une défaite, un accord en trompe-l'œil. On se couche devant les États-Unis. Le problème, c'est que la faiblesse d'Ursula von der Leyen, qui n'a pas montré les dents, peut laisser entendre qu'elle laissera passer des concessions plus tard. »
Une lecture également partagée par Thierry Breton, ex-commissaire européen, interrogé sur LCI lundi 28 juillet. Il estime que cet accord « historique » marque une « reddition de l'Europe ». « Qui se couche une fois, se couchera plus tard », met-il en garde. Aider les États-Unis à « maintenir leur avance technologique » L'accord risque de renforcer un déséquilibre déjà installé, juge de son côté Arno Pons, délégué général du think tank Digital New Deal. Une phrase de la déclaration d'Ursula von der Leyen, partagée sur le site de la Commission européenne, semblant être un aveu de vassalité numérique, l'a fait bondir : « Les puces américaines permettront d'alimenter nos gigafactories et aideront les États-Unis à maintenir leur avance technologique », a-t-elle déclaré, ce qui n'a pas manqué d'ulcérer les défenseurs de l'autonomie numérique européenne.
« C'est un signal politique désastreux, alors qu'on parle de souveraineté numérique du matin au soir. Depuis le départ de Thierry Breton, il n'y a plus de contre-pouvoir face aux États-Unis. Résultat : aucune garantie demandée en réciprocité, aucun engagement sur la régulation », note Arno Pons. Les pressions des États-Unis sur la régulation semblent par ailleurs déjà porter leurs fruits. La Commission européenne a reporté la conclusion de son enquête sur X (ex-Twitter), soupçonné de ne pas respecter les obligations de transparence imposées par le Digital Services Act. Selon le Financial Times, la décision, initialement attendue avant l'été, est repoussée en raison du contexte diplomatique.
Bruxelles assure que l'affaire suit son cours. Mais ce calendrier flottant alimente les soupçons de faiblesse vis-à-vis de Donald Trump. Taxer le numérique, la question qui revient toujours sur la table Pour rééquilibrer la relation commerciale entre l'UE et les États-Unis, plusieurs responsables politiques appellent à ne pas s'en tenir à cet accord et à mobiliser le levier fiscal. Au micro de France Inter ce 28 juillet, le ministre du Commerce extérieur, Laurent de Saint-Martin, explique qu'« il va falloir continuer à travailler ». Il cite ainsi « les services numériques, où les États-Unis sont excédentaires. [...] Donald Trump a dit pendant des mois et des mois qu'il voulait rééquilibrer une relation commerciale qui est au détriment des États-Unis, mais il ne parlait que des biens. Si on prend les services, c'est l'inverse. Donc à nous de faire ce travail de rapport de force et de rééquilibrage désormais », plaide-t-il. Arno Pons pousse dans la même direction : « Nous proposons depuis des années une taxe abus, qui cible les montages fiscaux artificiels des grandes plateformes. Les outils existent. Il manque juste la volonté politique. »
Mais Stéphanie Yon-Courtin, quoique en faveur sur le principe d'une taxation des services numériques, appelle à la prudence. « Au vu de notre très grande dépendance au numérique américain, l'arme fiscale pourrait se retourner contre les utilisateurs européens. Ce qu'il faut, c'est tenir bon sur les textes européens, le Digital Services Act et le Digital Markets Act ! » Lire aussiTaxer le numérique américain, une fausse bonne idée ? Une souveraineté à reconstruire Au-delà de la question fiscale, Arno Pons appelle à bâtir une stratégie d'autonomie européenne. « Cet accord est un nouveau signal montrant qu'il est absolument nécessaire de construire notre souveraineté pour ne plus dépendre de nos anciens alliés.
L'enjeu, c'est de construire une troisième voie numérique avec les Allemands et avec des puissances non alignées, comme le Japon, l'Inde, la Corée du Sud ou Taïwan. » Encore faut-il mesurer la dépendance actuelle pour savoir où agir. « Il est impossible d'arbitrer ou d'investir sans savoir d'où on part. Aujourd'hui, notre dépendance aux États-Unis n'est pas mesurée, et cela nous rend stratégiquement vulnérables. » C'est l'objectif, rappelle-t-il, de l'Indice de résilience numérique, lancé début juillet, qui permet aux entreprises d'évaluer leur dépendance aux services numériques extra-européens. Il devrait être adopté à l'échelle européenne en 2027.