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Stéphanie Yon-Courtin : « Il faut se garder de faire de l’antiaméricanisme » avec le Digital Markets Act
Rapporteure en commission Affaires économiques du Parlement européen sur le règlement régulant les plateformes qui verrouillent les marchés numériques, l’eurodéputée estime que le texte doit se rapprocher du droit de la concurrence et fournir de meilleurs recours aux PME. Il doit aussi mieux intégrer les autorités nationales dans son contrôle.
Stéphanie Yon-Courtin doit se hâter pour porter ses nombreuses idées sur le projet de règlement, destiné à ouvrir les marchés numériques verrouillés par les grandes plateformes. Ancienne conseillère à l’Autorité de la concurrence, spécialiste du droit européen, elle devra contribuer au compromis avec Andreas Schwab, rapporteur pour le Parlement en commission Marché intérieur (Imco), et avec la commission Industrie, aussi associée aux travaux.
1) Quelles améliorations voyez-vous par rapport au projet de la Commission ?
C’est une bonne proposition, qui reprend ce que je porte depuis mon rapport sur la politique de concurrence : la régulation ex ante des plateformes systémiques de longue date, pour pallier les limites du droit de la concurrence. Prévenir plutôt que guérir. Désormais, la Commission arrive après l’Allemagne sur le sujet, elle ne doit pas être moins ambitieuse.
Il reste plein de lacunes. D’abord, la base juridique Marché intérieur (article 114 du TFUE), destinée à faire de la politique de la concurrence sans droit de la concurrence. Nous aurions pu envisager une double base 114/103, comme sur la directive instaurant le Réseau européen de concurrence et celle sur les dommages et intérêts en cas d’infraction au droit de la concurrence.
Ensuite, l’articulation avec le droit de la concurrence. Les autorités nationales pourront-elles aller plus loin que le DMA, ou adopter une approche différente de la liste prédéfinie dans le règlement ? Il y a un risque de système parallèle au droit de la concurrence, en particulier sur le contrôle des concentrations. Il existe aussi un risque de superposition avec le code télécoms sur les services de communication interpersonnelle.
Par ailleurs, je suis en faveur d’un mécanisme de règlement de différends, qui permette aux PME de remonter leurs plaintes, pour les traiter rapidement via un guichet unique. C’est fondamental.
2) Voyez-vous d’autres problèmes avec la proposition de la Commission ?
Sur la désignation des plateformes structurantes, le règlement n’entrera pas en application avant deux ans, alors pourquoi leur laisser six mois pour se présenter comme telles ? Il faut sérieusement raccourcir ce délai, quitte à permettre la désignation unilatérale, comme en Allemagne. Avec toute la procédure, une décision peut même prendre cinq ans. Il y a aussi la question des seuils. Les qualitatifs permettraient d’élargir le champ des plateformes structurantes, par exemple aux fournisseurs de données financières.
La définition du seuil des utilisateurs actifs, par acte délégué de la Commission, l’équivalent européen des décrets, est une source d’incertitude juridique. D’autant que ce critère ne répond pas au besoin d’une approche par modèle économique d’un tel règlement horizontal.
Nous devons aussi améliorer la liste des interdictions et obligations. Elle ne peut pas seulement se fonder sur la jurisprudence en matière de concurrence.
La place des autorités de la concurrence dans le DMA est un autre problème. Je plaide pour mon ancienne casquette. Les 80 personnes prévues à la Commission ne suffisent pas. En outre, nous pouvons utiliser le Réseau européen de la concurrence (REC) pour la coordination prévue.
Enfin, l’ajout de nouvelles pratiques, après enquête, peut prendre du temps. En attendant, nous aurons peut-être besoin de remèdes sur mesure, sur le modèle de la boîte à outils de l’autorité allemande.
3) Que pensez-vous des idées mentionnées par Andreas Schwab ?
L’idée de monter les seuils de désignation pour n’inclure que les Gafa n’est pas bonne. Il faut se garder de faire de l’antiaméricanisme, d’autant que les seuils actuels laissent déjà peu de place à d’autres acteurs que les Gafa. Augmenter les seuils risque de figer le marché actuel.
L’idée d’une clause générale de « fairness » (non-discrimination) revient à faire de l’antitrust participatif, soit une application flexible. Il faut donc trouver le bon équilibre entre flexibilité et flou qui ouvrirait la voie à des contentieux.
Concernant la possible concentration des pouvoirs aux mains de la Commission, je veux renforcer le rôle du Parlement européen dans cette régulation ex ante. Pour le reste, la séparation des pouvoirs est déjà prévue : le tribunal et la CJUE peuvent être saisis. Nous pouvons aussi imaginer une réallocation des cas antitrust dans le cadre d’un « REC ++ », avec les autorités de la concurrence et les autorités sectorielles.
Enfin, je creuse encore l’inclusion du cloud dans le règlement. Nous ne pouvons pas l’exclure à ce stade, nous devons encore écouter.
4)Pensez-vous revenir sur les droits voisins des éditeurs de presse dans le règlement ?
Transposés en France, les droits voisins ont mené à des négociations difficiles entre Google et les éditeurs de presse, finissant devant l’Autorité de la concurrence. Google propose désormais l’arrivée d’un médiateur pour faciliter les discussions et « reconstruire la confiance ».
J’y pense. La directive droit d’auteur ne règle pas la situation à l’heure actuelle. Nous voyons bien nos difficultés en France. Elle doit encore être transposée dans l’Union, nous n’allons donc pas rouvrir la boîte de Pandore. Il y a donc un vrai sujet d’articulation avec le DMA, en ayant un arbitre qui tranche la question de la juste rétribution des éditeurs de contenus. Les éditeurs le réclament, les nouveaux eurodéputés y sont favorables, les plus anciens moins.
5) Êtes-vous satisfaite de l’organisation au Parlement ?
Nous aurions pu avoir une commission conjointe. La commission Affaires économiques est compétente en matière de concurrence, qui constitue une bonne part du règlement. Ce n’était pas une querelle de chapelles. L’association (article 57) renforcée de plusieurs commissions est une solution exceptionnelle, pour un texte exceptionnel.
Pour moi, l’idée est de partir sur une bonne base avant d’entrer dans le dur du texte, pour obtenir un résultat qui tient la route. Il faut travailler en bonne intelligence. D’autant que le calendrier de la commission Marché intérieur est très ambitieux.
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