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Libération I TikTok Lite, la version de l’application qui rémunère ses spectateurs, dans le viseur de l’UE et de la France - 19.04.2024
Déjà sous le coup d’une enquête de la Commission européenne en février, le géant chinois ByteDance inquiète encore avec le lancement de TikTok Lite, version alternative de TikTok qui récompense le temps de visionnage de ses usagers.
Des pièces virtuelles, convertibles en carte-cadeau, contre du temps passé devant des vidéos : c’est le principe de la nouvelle application TikTok Lite, soupçonnée de stimuler les comportements de dépendance notamment chez les jeunes, désormais dans le viseur de Bruxelles et Paris. La Commission européenne a réclamé mercredi 17 avril à la plateforme de lui fournir sous 24 heures des explications sur les risques liés au déploiement de sa nouvelle appli en France et en Espagne.
Cette demande formelle intervient dans le cadre de la nouvelle législation européenne sur les services numériques (DSA) et concerne «l’impact potentiel du nouveau programme de “récompenses” sur la protection des mineurs et la santé mentale des utilisateurs», notamment «la stimulation potentielle du comportement addictif», a précisé la Commission.
Discrètement lancé fin mars, TikTok Lite, propriété de l’entreprise chinoise ByteDance, récompense les utilisateurs avec des jetons s’ils se connectent quotidiennement s’ils passent du temps à regarder des vidéos (avec une limite de 60 à 85 min par jour) et s’ils font certaines actions, comme aimer des vidéos ou suivre des créateurs de contenus. Ces pièces sont ensuite échangeables contre des cartes-cadeaux sur des sites partenaires, comme Amazon. Ce principe de «gamification», qui s’appuie sur les mécaniques du jeu, «est un phénomène de création de dépendance connu et problématique», remarque auprès de l’AFP Anne Cordier, professeure en sciences de l’information et de la communication à l’université de Lorraine.
Le réseau social a rappelé à plusieurs reprises que seules les personnes âgées de 18 ans ou plus pouvaient collecter des points et qu’il appliquait des procédures pour s’assurer de l’âge des utilisateurs. Un selfie avec une pièce d’identité, un selfie vidéo ou une autorisation de carte bancaire est ainsi nécessaire pour convertir les pièces en bons d’achat.
Mais l’entreprise peine à convaincre. «C’est le top de l’hypocrisie», déplore Anne Cordier. «Ils savent pertinemment que le contournement sera possible». «L’âge est très compliqué à vérifier. On peut toujours prendre la carte bancaire de ses parents», abonde Maria Mercanti-Guérin, maître de conférences en marketing digital à l’Institut d’administration des entreprises de Paris.
La secrétaire d’Etat française chargée du Numérique, Marina Ferrari, a estimé mercredi que la demande d’information de la Commission européenne «allait dans le bon sens». Elle avait fait part de «son inquiétude» dès le lancement de TikTok Lite.
Les craintes de la France et de l’Europe
Ses services étudient «avec la plus grande attention les mécanismes de l’interface» qualifiés «de dérive contestable» au moment où la France a entamé «une réflexion sur le «temps d’écran»», en particulier chez les jeunes utilisateurs, a-t-elle déclaré. Avec ses clips vidéo souvent dansants ou musicaux, TikTok, qui a séduit plus de 1,5 milliard d’utilisateurs dans le monde, est accusé depuis plusieurs années aux Etats-Unis et en Europe d’accaparer l’attention des jeunes.
La députée européenne (Renew) Stéphanie Yon-Courtin a quant à elle adressé plusieurs questions écrites à la Commission européenne sur les risques addictifs de l’application, et son incompatibilité avec le DSA. L’élue demande notamment si Bruxelles compte «examiner cette nouvelle application […] alors que TikTok fait l’objet d’une enquête concernant la protection des mineurs et les risques liés à la conception addictive de la plateforme». Une inquiétude qui n’a pas échappé au Commissaire européen Thierry Breton, qui a mentionné sur X avoir envoyé une demande d’informations concernant le lancement de TikTok Lite, avant d’asséner : «Nous n’épargnerons aucun effort pour protéger les mineurs en vertu du DSA.»
Is social media "lite" as addictive and toxic as cigarettes "light"?
We have just sent a request for information regarding the launch of #TikTokLite.
We will spare no effort to protect minors under the #DSA.
pic.twitter.com/3oC0Msm28J
— Thierry Breton (@ThierryBreton) April 17, 2024
Le réseau social, qui a assuré à l’AFP être en contact direct avec Bruxelles au sujet de TikTok Lite et avoir l’intention de fournir une réponse, était déjà sous le coup d’une enquête de la Commission, ouverte en février, pour manquements présumés en matière de protection des mineurs dans le cadre du DSA. De quoi interroger le calendrier de ce lancement, qui apparaît presque comme une «provocation», pour Maria Mercanti-Guérin.
Le clic à tout prix
TikTok cherche surtout à attirer de nouvelles personnes et lutter contre la stagnation de la croissance des utilisateurs en Europe, selon le média américain The Information, qui a eu accès à un document interne à l’entreprise. En Europe, l’application n’est présente que sur 13 % des appareils Android, contre 37 % pour Instagram et 59 % pour Facebook, selon la même source. «Un réseau social qui ne croît pas meurt», résume Maria Mercanti-Guérin.
A travers les récompenses, il s’agit aussi d’améliorer l’engagement des utilisateurs, nerf de la guerre dans ce type d’industrie. C’est «leur crédibilité publicitaire qui est en jeu, parce que les marques n’investissent pas sur des réseaux qui ont des faibles taux d’engagement», souligne la maître de conférences. «TikTok Lite va augmenter de façon presque artificielle cet engagement», note-t-elle, précisant que le réseau social réalise déjà de bonnes performances dans ce domaine. Or le taux d’engagement baisse tendanciellement pour les réseaux sociaux, selon la spécialiste. Très fort au début, il finit par stagner.
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