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Le Point - Vérification d'âge en ligne : la France en première ligne d'un test européen - 15/07/2025

Vérification d'âge en ligne : la France en première ligne d'un test européen
Vérifier l'âge des mineurs sur Internet ? Pas si simple. Les États membres, la France et l'Espagne en tête, étaient demandeurs d'une action coordonnée de la Commission européenne en application de l'article 28 du Digital services act (DSA). Ce texte réclamait des « lignes directrices » de la part de la Commission adressées aux sites Internet pour une mise en oeuvre. Lundi, la Commission a donc publié ses recommandations. Elle adopte un système par niveau de risques qui gradue les obligations de vérification selon trois niveaux de danger.
Le flou de l'article 28
Pour les risques moyens, les plateformes peuvent recourir à l'estimation d'âge, moins précise mais plus respectueuse de la vie privée. Cette approche reconnaît que tous les réseaux sociaux ne présentent pas le même niveau de danger. Pour les risques faibles, l'autodéclaration reste tolérée, bien que jugée insuffisante par Bruxelles. Cette gradation reflète la volonté de ne pas paralyser l'écosystème numérique tout en protégeant les plus vulnérables.
En fait, l'article 28 sur la protection des mineurs est très flou, sans doute parce qu'il est issu d'un compromis entre les intérêts des plateformes et l'intérêt général... Le texte du règlement impose seulement des « mesures appropriées et proportionnées » pour assurer un « niveau élevé » de protection, sans spécifier lesquelles. Les lignes directrices de la Commission viennent combler un vide laissé par le législateur, mais elles n'ont pas de valeur contraignante.
Un projet pilote d'application de vérification d'âge
La « vérification obligatoire » pour les sites à haut risque n'est donc pas une obligation légale directe, mais plutôt l'interprétation de la Commission de ce qui constitue une « mesure appropriée » au sens de l'article 28. Les plateformes qui ne suivraient pas ces recommandations s'exposent à être considérées comme non conformes au DSA lors d'enquêtes ultérieures.
Parallèlement, Bruxelles lance un projet pilote d'application de vérification d'âge. Après vérification de la carte d'identité, l'application fournit des « clés d'accès » pour visiter les sites pour adultes. Les autorités ne savent pas quel site vous visitez, et les sites ne connaissent que votre âge, pas votre identité.
Cinq pays pionniers début 2026
Le Danemark, particulièrement avancé, ambitionne d'être le premier pays opérationnel. « J'ai bon espoir que nous aurons une application prête au printemps de l'année prochaine », a déclaré la ministre danoise, Caroline Stage. Le système danois pourra même fonctionner hors ligne pour acheter alcool ou tabac en magasin. Cinq pays pionniers (Danemark, France, Grèce, Italie, Espagne) testeront d'abord l'outil avant un déploiement plus large début 2026.
Au-delà de la vérification d'âge, les lignes directrices imposent une refonte complète de l'expérience numérique des mineurs : paramètres de sécurité maximaux par défaut, comptes privés automatiques, interactions limitées aux contacts acceptés, géolocalisation désactivée. Mais aussi un contrôle des algorithmes : si un enfant n'aime pas un contenu, il ne doit plus lui être recommandé. L'objectif est d'éviter les « spirales de contenus nuisibles ».
Supprimer les fonctionnalités addictives
Les lignes directrices visent également l'élimination des éléments toxiques : suppression des fonctionnalités qui encouragent l'addiction ou facilitent le cyberharcèlement, notamment les protections contre les chatbots d'intelligence artificielle.
Enfin, les plateformes numériques devront disposer d'outils de signalement adaptés : des interfaces simples avec retours rapides, et une priorité donnée aux signalements concernant les mineurs.
Satisfaction française, détermination danoise
Ces lignes directrices consacrent largement l'approche française. La distinction entre niveaux de risques, l'importance de la vérification d'âge, la nécessité de repenser l'expérience numérique des enfants : autant de principes défendus par Paris depuis des mois.
Le Danemark, qui milite pour une « majorité numérique », reste ferme sur ses positions. Interrogée sur l'accord récent entre Meta et la Grèce privilégiant le consentement parental, Caroline Stage a réaffirmé : « Je pense qu'il devrait y avoir une majorité numérique. Définitivement, il devrait y avoir un âge à partir duquel vous pouvez entrer. »
La fragmentation européenne
Les lignes directrices de la Commission permettent aussi à chaque État membre de continuer à appliquer ses propres législations nationales, risquant de fragmenter l'espace numérique européen. Un adolescent vivant entre deux pays devra donc naviguer entre des règles différentes selon sa géolocalisation. « Nous avons ce genre de différences culturelles entre les États membres », a reconnu Virkkunen face aux questions sur cette fragmentation.
La publication de ces lignes directrices marque toutefois une étape importante dans la convergence européenne. La Commission s'est engagée à les réviser dans 12 mois, en fonction des retours d'expérience. Pour Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée Renew, rapporteur sur ces questions, « il faut aller plus loin : responsabiliser toutes les plateformes, accélérer les enquêtes, donner des moyens aux services de la Commission ». Les armées d'avocats des grands groupes numériques surpassent en effet largement les effectifs de la Commission européenne dédiés à la mise en oeuvre du DSA.
Emmanuel Berretta