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Le Figaro - «On ne se laisse pas provoquer» : les Européens peinent à assumer un bras de fer commercial avec Donald Trump - 26/06/2025

« On ne se laisse pas provoquer » : les Européens peinent à assumer un bras de fer commercial avec Donald Trump
Vingt-quatre heures après avoir plié l’échine devant Donald Trump au sommet de l’Otan en acceptant l’engagement de consacrer 5 % de leur PIB à la défense , les Européens, réunis jeudi pour un sommet à Bruxelles, se demandent comment éviter de passer à la caisse une seconde fois sur les droits de douane. La servilité affichée du secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, à l’égard du président américain, qu’il a qualifié de « papa » face à des enfants dissipés , a rempli son objectif de lui offrir sur un plateau la victoire « monumentale » dont il a pu se targuer. Les Européens, qui cherchent depuis son retour à la Maison-Blanche comment gérer Trump, peinent à trouver la voie permettant d’entrer dans un rapport transactionnel adulte avec lui, que ce soit sur le commerce, le soutien à l’ Ukraine ou les sanctions contre la Russie.
Il reste une dizaine de jours avant l’échéance du 9 juillet, à l’issue de laquelle le président américain a menacé l’Union européenne de surtaxer ses importations à 50 %. En attendant, des droits de douane de 10 % sont déjà appliqués sur tous les produits, 50 % sur l’acier et l’aluminium et 25 % sur les voitures. Et l’Union européenne ne voit guère se dessiner un retour au statu quo ante, au gré de négociations laborieuses menées par la Commission, dont c’est la compétence exclusive. Sa présidente, Ursula von der Leyen, peine à obtenir l’attention du président américain.
À son arrivée à son premier Conseil européen, le chancelier allemand, Friedrich Merz, l’a pressée d’« aboutir rapidement à un accord commercial ». Quelques jours plus tôt, il avait critiqué l’approche « beaucoup trop compliquée » de la Commission dans ces pourparlers commerciaux. L’Allemagne voudrait la voir se concentrer pour sauver quelques secteurs clés : l’automobile, l’acier ou la pharmacie. « Ça ne signifie pas qu’il faille renoncer au reste », peste un diplomate d’un autre grand pays.Le sentiment s’installe que les 10 % de base vont rester en vigueur. Giorgia Meloni a estimé qu’ils « n’auraient pas un impact significatif » sur les entreprises italiennes. Les États membres semblent se livrer à une course contre la montre pour limiter les dégâts en négociant des exemptions au cas par cas pour leurs secteurs clés. « Tous les efforts doivent être faits pour parvenir à un accord avec lequel on puisse vivre, même si ce n’est pas l’idéal », résume le premier ministre irlandais, Micheal Martin.
Esprit de capitulation
Isolée, la France n’entend pas laisser s’installer cet esprit de capitulation avant la fin de la bataille. À l’Otan, Emmanuel Macron a fait le lien entre la défense et le commerce . « On ne peut pas, entre alliés, dire : il faut dépenser plus » pour la défense « et, au sein de l’Otan, se faire la guerre commerciale, c’est une aberration », a-t-il déclaré, appelant à la « paix commerciale ». C’est-à-dire à la suppression de toutes les barrières tarifaires. Ce n’est pas qu’une question de réalisme économique, mais aussi de poids politique. A Bruxelles, jeudi soir, il a répété sa position de fermeté devant ses partenaires, reconnaissant qu’elle ne faisait pas «l’unanimité» mais qu’il y avait une «certaine clarté». «S’il y a une vraie volonté des Européens de conclure, cette bonne volonté ne doit pas être vue comme une faiblesse, a-t-il asséné. Si à la fin le choix des Américains était de garder 10% de tarifs sur notre économie, il y aura immanquablement une compensation sur les biens et produits qui sont vendus par les Américains, sinon nous serions naïfs ou faibles.» Sans réaction européenne, juge-t-il, Trump n’aurait aucune incitation à enlever ses taxes.
Ce débat a animé le dîner des Vingt-Sept, jeudi soir, consacré à la compétitivité de l’Europe et à sa place dans le monde. Un agenda moult fois rabâché, sans que le bloc ne parvienne à en tirer une quelconque puissance géopolitique face à des adversaires aux visées impérialistes. « Le problème, c’est que nous avons face à nous un négociateur hors pair, un poids lourd, alors que le nôtre est très faible », tacle le premier ministre hongrois, Viktor Orban. « On ne se laisse pas provoquer, on reste très calme », nuance le Belge Bart De Wever , qui juge « stupide » toute escalade dans une guerre commerciale. La Commission s’est confrontée aux contradictions des Vingt-Sept. Elle croit déceler une majorité pour conclure rapidement un accord de principe avec Washington et éviter une surenchère dommageable, quitte à assumer « une part d’asymétrie » - à savoir supporter des taxes américaines unilatérales.
Quid alors des mesures de rétorsion qu’elle a préparées en parallèle ? Deux listes de produits américains, portant respectivement sur 21 milliards et 95 milliards d’euros, susceptibles d’être frappés de droits de douane jusqu’à 50 %, ont été élaborées. Reste à savoir si elles seront dégainées. Il y va de la crédibilité de l’Europe. Dès le début de l’offensive commerciale américaine, Ursula von der Leyen avait évoqué des représailles fortes : taxation des géants numériques américains, voire restrictions d’accès au marché européen. «Nous nous préparons à l’éventualité qu’aucun accord satisfaisant ne soit possible, a-t-elle déclaré jeudi soir. Toutes les options restent sur la table.»
Mais certains craignent que, dans le secret des tractations, l’humeur soit plutôt à la conciliation et aux concessions. Quitte à sacrifier des principes proclamés haut et fort. On guette depuis des mois les sanctions de l’Union européenne contre le réseau social X, d’Elon Musk, pour infraction au règlement sur les services numériques. « Il y a une absence totale de leadership politique », fustige l’eurodéputée (Renew) Stéphanie Yon-Courtin. Les réglementations sur le numérique ou la TVA ont été citées comme des lignes rouges de l’UE dans ses négociations, en dépit des coups de boutoir de l’Administration américaine contre elles. Reste à voir jusqu’où la Commission résistera. Celle-ci s’est déjà montrée encline à discuter avec les Américains de certains standards industriels sur l’automobile, des normes environnementales ou de la taxe carbone aux frontières.
L’Europe seule aux côtés de l’Ukraine
Les Européens se retrouvent aussi lâchés par leur allié américain sur le soutien à l’Ukraine, les sanctions contre la Russie, sans parler du Moyen-Orient, terrain d’autant plus miné qu’ils sont profondément divisés. En dépit des efforts de Volodymyr Zelensky auprès de Donald Trump, l’aide américaine devrait se tarir durant l’été, puisque aucun nouveau plan n’a été adopté par le Congrès depuis Joe Biden. Les Vingt-Sept, qui ont déjà assumé la plus grande partie du soutien militaire et financier, savent qu’ils vont devoir combler les manques.
L’ambitieux nouveau train de sanctions, visant à tordre le bras du Kremlin pour le contraindre à négocier, devait se faire en coordination avec les États-Unis. Malgré les propositions législatives du sénateur républicain Lindsey Graham, Donald Trump n’a pas suivi. Sans appui américain, la Hongrie et la Slovaquie tentaient encore jeudi de monnayer leur accord auprès de leurs homologues. « Poutine essaie de nous diviser », prévient Zelensky. Et Trump n’arrange rien.