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La Tribune I La réforme de Solvabilité II doit permettre de libérer le potentiel d'investissements des assureurs

Publié le 10/02/2023

OPINION. La réforme de la directive Solvabilité II, actuellement en discussion au Parlement européen, pourrait avoir des conséquences majeures sur la structuration de la filière assurance. C'est aussi une chance unique de libérer l'investissement des assureurs, dont les réserves de liquidité peuvent devenir un catalyseur de croissance économique. Par Noël Labelle, consultant, expert en information économique. 

Sorti de l'Union européenne, le Royaume-Uni refaçonne à sa guise le cadre légal de ses activités financières. En novembre, le Chancelier de l'Échiquier britannique, Jeremy Hunt, a ainsi annoncé ses propositions finales pour modifier en profondeur Solvabilité II, cette directive européenne née en 2009 à la suite d'une profonde réforme réglementaire du monde de l'assurance, dont l'effondrement pourrait en effet constituer un risque systémique. Londres entend rester une place financière de premier rang mondial. Pour le ministre conservateur, cela passe par une législation plus libre, notion associée dans beaucoup d'esprits anglo-saxons à l'innovation et à la compétitivité. L'initiative a été chaleureusement accueillie par l'« Association of British Insurers » (ABI) qui a d'ores et déjà estimé voir le potentiel d'investissements au cours des dix prochaines années à 100 milliards de livres. Une vision de long-terme dont l'Union européenne pourrait bien s'inspirer. 

La quête de stabilité financière est légitime... mais ne doit pas trop grever l'investissement 

Car au sein de l'Union européenne, Solvabilité II est également questionnée. Et le discours est peu ou prou le même. Bruxelles veut inciter « les entreprises d'assurance à accroître leurs investissements à long terme dans la reprise économique de l'Europe », en revenant sur les règles prudentielles établies par la directive. C'est dans ce cadre que, le 5 décembre dernier, l'Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA) a lancé une consultation sur les actifs et produits d'assurance associés à des objectifs environnementaux et sociaux. La mission de l'EIOPA est dans un premier temps d'évaluer si un traitement prudentiel spécifique des expositions liées aux actifs ou aux activités associées de manière substantielle aux objectifs environnementaux ou sociaux serait justifié. La révision de la directive par les esprits bruxellois ne semble donc pas être destinée à une franche libéralisation du secteur mais à la canalisation des investissements vers des secteurs prédéfinis, susceptibles de porter une croissance que les dirigeants européens espèrent la plus verte possible. 

Au début des années 2010, Solvabilité II avait pour objectif de renforcer la stabilité financière du secteur de l'assurance en Europe, fortement secoué après la crise des subprimes. Cette réforme a établi des exigences de capital plus strictes pour les assureurs, leur permettant de faire face aux risques financiers plus efficacement. Cependant, ces exigences ont également eu un impact sur la possibilité d'investir dans des actifs à haut rendement, entravant ainsi la capacité à générer des gains pour leurs actionnaires. La directive a également créé une complexité supplémentaire en ce qui concerne les obligations réglementaires, incitant de fait les assureurs à se concentrer sur les investissements sûrs plutôt que sur les opportunités plus risquées, mais potentiellement plus rentables. 

Des investisseurs majeurs aux mains en partie liées 

On touche là au cœur du problème. Les assureurs sont parmi les premiers investisseurs institutionnels et les principaux financeurs de l'économie. Or les règles applicables aux investissements des assureurs dans les institutions bancaires ne sont actuellement pas aussi favorables à celles offertes aux banques. Pour résumer, les banques désireuses d'acquérir une société d'assurance sont soumises à des conditions d'investissement bien plus favorables que les assureurs aspirant à racheter une institution bancaire. Le déséquilibre est perçu comme très largement préjudiciable par l'industrie de l'assurance qui se caractérise aujourd'hui par un nombre de participations accrues des banques dans les compagnies d'assurance et un volume marginal de transactions impliquant une prise de participation des assurances vers les banques. 

Il existe toutefois de réelles opportunités pour libérer le potentiel d'investissement des assureurs. Tout d'abord, en clarifiant les obligations réglementaires et en éliminant les incohérences, les assureurs seront en mesure de mieux répondre aux attentes réglementaires et de se concentrer sur les investissements à haut rendement. De plus, en permettant une meilleure harmonisation entre les réglementations des différents pays européens, la réforme de Solvabilité II peut également stimuler la concurrence et inciter ainsi à investir davantage dans des actifs à haut rendement pour rester compétitif. Enfin, en encourageant des approches plus innovantes pour évaluer les risques financiers, une directive Solvabilité II profondément revue doit aider les assureurs à mieux appréhender les opportunités à haut rendement et à se concentrer dessus. Une approche qui correspond peu ou prou à celle portée par l'eurodéputée française Stéphanie Yon-Courtin qui aspire à «  libérer des capacités de financement, adapter les cadres au contexte actuel, renforcer la protection des consommateurs et rendre le texte plus lisible et plus opérationnel  ». 

La réforme de Solvabilité II est donc un enjeu majeur pour l'UE. En libérant le potentiel d'investissement des assureurs, Bruxelles favoriserait la compétitivité de l'économie européenne par une injection massive de liquidités qui se font de plus en plus rares.

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