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Réformer les règles budgétaires européennes, un débat qui s’annonce long et complexe
Réformer les règles budgétaires européennes, un débat qui s’annonce long et complexe
06 avril 2021 à 7 h 00 — Jean Comte (bureau de Bruxelles)
La crise du Covid a donné une nouvelle vigueur à ce serpent de mer européen. Mais les élections allemandes et les réticences des « faucons » budgétaires l’empêcheront d’atterrir avant 2022… au plus tôt.
arfois, l’histoire accélère brusquement. Le 18 mai 2020, alors que s’amorçait la plus grande crise économique jamais connue par l’UE, Angela Merkel apportait son soutien à un endettement en commun des États. En quelques semaines, la pandémie avait eu raison d’un tabou pourtant enraciné depuis des années outre-Rhin.
Dans le reste de l’UE, cette soudaine révolution pousse certains à voir grand. Et à espérer un débat de fond sur un autre tabou : les règles budgétaires européennes. Il s’agit des célèbres plafonds de dette et de déficit publics (à respectivement 60 % et 3 % du PIB), accompagnés de plusieurs règles complémentaires, comme l’obligation, chaque année, de réduire les dettes excessives d’un vingtième ou de faire un effort structurel sur le déficit d’au moins 0,5 %. La pandémie a brusquement changé la donne, forçant l’ensemble des États à soutenir massivement leur économie.
« On ne peut pas imaginer remettre en place le même pacte de stabilité et de croissance », précisait le secrétaire d’État aux Affaires européennes Clément Beaune dès septembre 2020.
Un débat prévu pour… 2022 au plus tôt
Depuis, sur cette question, les lignes ont commencé à bouger.
« Prenez le communiqué publié à la mi-mars par l’Eurogroupe, par exemple : il parle beaucoup de croissance et d’investissement, explique une bonne connaisseuse du sujet. Auparavant, les faucons n’auraient jamais laissé passer cela sans ajouter de référence à la soutenabilité de la dette. » Mais la discussion débute à peine. Et l’Allemagne et les Pays-Bas restent sur la défensive.
« Pour l’instant, les ministres des Finances sont concentrés sur les mesures d’urgence, poursuit notre interlocutrice. Cela fait longtemps qu’ils n’ont pas eu un débat général sur les règles budgétaires, et ils n’ont pas prévu cela dans les six prochains mois. C’est donc encore compliqué de savoir si les positions de La Haye ou de Berlin ont vraiment changé. »
La Commission européenne a précisé en mars 2021 qu’elle ne lancerait la discussion qu’une fois la situation économique revenue à la normale, autrement dit courant 2022. « Elle a peur que discuter du futur des règles maintenant froisse les faucons, et les pousse à revenir tôt sur la clause échappatoire générale », résume un diplomate.
Mais la stratégie permet également de ne pas dégainer avant les élections allemandes de septembre 2021. Le sujet est très polémique outre-Rhin, et aucun ministre des Finances allemand n’acceptera de s’avancer sur la question durant la campagne.
« Il faut que l’Allemagne bouge pour que le débat avance, note un observateur. Pour l’instant, il y a déjà une discussion dans les cercles intellectuels, mais elle doit encore s’élargir à la classe politique. »
La position des Pays-Bas sera également cruciale. Tout dépendra des négociations en cours pour former un nouveau gouvernement, à l’issue des législatives de la mi-mars. Le Premier ministre sortant Mark Rutte, connu pour son attachement aux règles, a toutes les chances de rester au pouvoir, mais l’attribution du ministère des Finances au parti libéral proeuropéen D66 serait un bon signe, juge-t-on à Bruxelles.
À Paris, le calendrier est vu favorablement. Et pour cause : il permettra de démarrer les discussions au moment où la France occupera la présidence du Conseil de l’UE, de janvier à juin 2022. Cela coïncidera aussi avec la campagne présidentielle pour la réélection de Macron (relire notre article).
« C’est la bonne fenêtre de tir pour commencer les discussions », résume Stéphanie Yon-Courtin, eurodéputée Renaissance et coauteure de la prise de position de LRM sur la dette Covid.
Du côté bruxellois, la Commission et les États seront en train de négocier les trajectoires de retour à l’équilibre des finances publiques, et d’absorption des dettes Covid.
Trois scénarios possibles
Au-delà du calendrier, l'un des enjeux de la discussion à venir réside dans la façon de changer les règles. Modifier les cibles de 3 % de déficit et 60 % de PIB d’endettement relève presque d’une mission impossible. Elles sont inscrites dans les traités européens. Il faut donc obtenir l’unanimité pour les modifier.
Mais il existe d’importantes marges de manœuvre dans les textes juridiques qui précisent l’application de ces principes généraux. Il s’agit des « 2 packs » et « 6 packs », deux ensembles de directives et de règlements adoptés entre 2011 et 2013, en pleine crise de la zone euro. Cela nécessiterait une modification des textes législatifs, et donc qu’ils soient approuvés par les États et le Parlement.
« La règle des 3 % reste pertinente – c’est le niveau de déficit qui permet de stabiliser la dette –, mais la cible de 60 % est en décalage avec la réalité post-Covid », juge-t-on à Bercy. Paris a notamment dans son viseur la règle du vingtième (la dette publique doit diminuer d’un vingtième par an) et de l’effort de réduction du déficit structurel (qui doit être de 0,5 % ou 0,6 % par an si la dette publique dépasse les 60 % du PIB).
« Dans la situation actuelle, la règle des “un vingtième” impliquerait de baisser la dette de 5 points de PIB par an, c’est du jamais-vu dans l’histoire économique », insiste-t-on à Bercy. Quant à l’effort structurel, la France était déjà réticente sur son respect avant le début de la crise du Covid.
De façon plus générale, Paris insiste également pour s’éloigner d’une approche actuellement fondée sur des seuils, qui ne distingue pas entre différents types d’investissements et fait l’économie d’un débat plus général sur le « policiy mix » – la combinaison des politiques budgétaires et monétaires. « C’est une approche beaucoup trop statique », détaille Stéphanie Yon-Courtin. L’idée laisse toutefois sceptiques les faucons, qui s’effraient qu’elle ne donne une trop grande marge de manœuvre aux États.