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« Ce n’est pas à l’Europe de s’adapter aux plateformes, c’est aux plateformes de s’adapter à l’Europe »

Alors que la Commission a lancé le mardi 2 juin une consultation publique pour réguler les grandes plateformes numériques, Stéphanie Yon-Courtin revient sur les grands enjeux pour l’UE.

La consultation lancée par la Commission vise à construire un « Digital Services Act » (Acte pour les Services Numériques) prévu pour début 2021. Quelle en serait la première mesure ?

Elle porte sur la responsabilité des plateformes. Comme l’a rappelé le Commissaire Thierry Breton, les plateformes en ligne ont pris un rôle central dans notre vie, notre économie et notre démocratie. Ce rôle s’accompagne d’une responsabilité accrue, mais qui ne peut se faire que dans le cadre d’un ensemble de règles modernes pour les services numériques. L’enjeu, c’est bien d’adapter les règles d’une législation datant d’il y 20 ans — à savoir la révision de la directive e-commerce — afin de la faire correspondre aux usages d’aujourd’hui.

La question est la suivante : qui est responsable des contenus publiés ou des biens vendus en ligne et quelles obligations leur incombent ? La question se pose lorsqu’on parle de contenus terroristes, de contenus ne respectant pas les droits de propriété intellectuelle mais aussi de produits contrefaits sur des plateformes en ligne ou des places de marché. Prenons l’exemple du Covid-19 : nous avons vu se multiplier la vente en ligne de nombreux médicaments contrefaits, de masques ne respectant pas les normes européennes ou encore la diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux.

Et qu’en est-il de la concurrence sur le marché numérique ?

C’est la seconde mesure de ce Digital Service Act.

Actuellement, une poignée des grandes plateformes en ligne agissent comme des gatekeepers et empêchent ainsi l’accès au marché à de nouveaux entrants. La manière dont fonctionnent les règles de concurrence actuelles revient à n’agir qu’une fois que le mal est fait, c’est à dire souvent trop tard dans la mesure où des entreprises mettent la clé sous la porte.

L’idée serait ainsi de mettre en place un cadre réglementaire pour ces acteurs afin d’empêcher au préalable certaines pratiques et imposer certaines obligations.

Quelles sont ces évolutions nécessaires pour assurer une concurrence loyale à l’ère du numérique ?

Il faut d’abord se rendre compte de l’importance du Digital Service Act : il sera une pierre angulaire de ce mandat. Il viendra en complément de l’évolution annoncée des règles de concurrence, comme j’ai pu les esquisser dans le rapport annuel sur la politique de concurrence dont je suis rapporteure.

Au-delà d’une meilleure application des règles de concurrence existante, nous pensons qu’il est nécessaire d’aller plus loin concernant l’évolution des règles à l’ère du numérique et de ne pas se contenter de lourdes amendes pour sanctionner des pratiques anticoncurrentielles dix ans plus tard !

C’est le but des deux consultations lancées par la Commission européenne : l’une pour savoir comment mettre en place cette régulation ex ante, c’est-à-dire une régulation qui permet d’introduire un contrôle des pratiques des plateformes en amont d’une défaillance de marché ; l’autre pour savoir comment designer un nouvel outil qui permettrait d’empêcher certains acteurs de verrouiller un marché.

Comment fonctionnerait cette régulation ex ante ?

D’abord, il faut rappeler que le besoin d’une régulation ex ante est une demande déjà portée dans mon rapport annuel sur la politique de concurrence.

Concrètement, comment cela fonctionne ? Je le résume en deux points :

Premièrement, nous devons définir ce qu’est une plateforme systémique (ou structurante), c’est-à-dire identifier les intermédiaires en ligne qui, par leur taille, leur concentration des données et leur pouvoir de marché détiennent un pouvoir considérable sur le fonctionnement du marché et in fine, sur le choix des consommateurs. Êtes-vous considéré comme une plateforme systémique lorsque vous détenez 90% de part de marché en Europe comme Google ? Oui ; lorsque 60% des Européens sont utilisateurs de vos services et paient avec leurs données personnelles comme avec Facebook ? Oui.

Deuxièmement, nous devons mettre en place une régulation dédiée à ces plateformes systémiques. Une régulation qui viserait à prévenir et empêcher les pratiques anticoncurrentielles : cela passerait par l’interdiction de mettre en avant ses propres services et produits sur une plateforme au détriment des autres concurrents ; une meilleure interopérabilité pour les données des utilisateurs ; une ouverture des données pour permettre l’accès au marché à de nouveaux concurrents et la nécessité par exemple pour les GAFA de démontrer avant l’achat qu’une acquisition ne renforce pas leur position dominante. Ce sont des exemples de « do et don’t » que la Commission pourrait mettre en place.

La Commission a aussi publié une consultation sur un futur nouvel outil de politique de concurrence pour éviter le verrouillage des marchés, pouvez-vous nous l’expliquer ?

Le nouvel outil de concurrence — dont l’équivalent existe d’ailleurs chez d’autres puissances mondiales — donnerait les moyens à la Commission de combler les lacunes des règles de concurrence actuelles et d’intervenir contre les problèmes de concurrence structurels sur les marchés en temps utile et de manière efficace. Après avoir établi un problème de concurrence structurel grâce à une enquête de marché rigoureuse, le nouvel outil devrait permettre à la Commission d’imposer des mesures correctives comportementales et, le cas échéant, structurelles.

C’est un outil intéressant qui renforcerait encore les pouvoirs de la DG COMP, même si évidemment le Parlement européen doit en étudier les contours avant de se prononcer.

Est-ce que cela ne revient pas à mettre en place des outils anti-GAFA car l’UE n’a pas réussi à faire émerger elle-même des géants européens ?

Non. À ceux qui voudraient voir dans l’évolution des règles de concurrence et la responsabilité des plateformes une régulation anti-GAFA, ce n’est pas le cas. Nous sommes ravis d’utiliser chaque jour les services innovants proposés par ces plateformes. Ce qu’il faut bien avoir en tête c’est que nous ne régulons pas les entreprises mais des comportements. Lorsque ceux-ci ceux sont répréhensibles, il revient à chacun de prendre ses responsabilités ! C’est aussi simple que cela.

En revanche, il est vrai que l’Union européenne pourrait faire davantage pour permettre l’émergence de leaders européens dans des secteurs stratégiques clés. Cela pourra se faire à travers une meilleure articulation de la politique de concurrence avec la politique industrielle qui sont deux faces d’une seule et même pièce. La révision de la définition du marché pertinent et celle sur les lignes directrices concernant les accords de coopération horizontale me semble être deux leviers intéressants.