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Euractiv I Le Sénat vote à l’unanimité pour encadrer les pratiques des influenceurs

Le Sénat a adopté à l’unanimité mardi (9 mai) la proposition de loi visant à encadrer les pratiques des influenceurs sur les réseaux sociaux. Le texte, qui doit maintenant passer en Commission Mixte Paritaire (CMP), ferait de la France un pays pionnier de la protection des consommateurs en ligne.

La proposition de loi des députés Arthur Delaporte (Parti socialiste) et Stéphane Vojetta (Renaissance, centre) qui vise « à lutter contre les arnaques et les dérives des influenceurs sur les réseaux sociaux » est sous le feu des projecteurs depuis le début de l’année. 

 Le 24 mars, le ministre de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, Bruno Le Maire annonçait déjà sur Brut, un média vidéo en ligne, la mise en place d’une brigade de 15 agents chargés de repérer les pratiques frauduleuses des influenceurs, au sein de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). 

 Quelques jours plus tard, le 30 mars, l’Assemblée nationale votait à l’unanimité en faveur de la proposition de loi de MM. Delaporte et Vojetta. 

 Mardi, c’était donc au tour du Sénat d’adopter, lui aussi à l’unanimité, sa version du texte. Les deux chambres du Parlement doivent désormais s’accorder sur une version finale en CMP. 

 Telle qu’elle est rédigée, la loi définit comme influenceur tous ceux qui « à titre onéreux, communiquent au public par voie électronique des contenus visant à faire la promo, directement ou indirectement, de biens, de services ou d’une cause quelconque exercent l’activité d’influence commerciale par voie électronique ». Il s’agit donc de réglementer l’influence commerciale, contractuelle entre un influenceur et une marque.

Une visée pédagogique

 Les différentes parties prenantes à cette loi saluent l’initiative des députés. 

 Laureline L’Honnen Frossard, directrice des affaires publiques et juridiques à l’Union des marques, explique à EURACTIV qu’« il existait déjà un cadre juridique et des pratiques responsables mises en œuvre par les marques, mais le développement d’arnaques auprès des consommateurs rendait nécessaire d’apporter des réponses législatives et pédagogiques et de responsabiliser les influenceurs ». 

 Elle est rejointe dans son analyse par Mélodie Ambroise, directrice stratégie et relations institutionnelles au sein de l’Association pour le Développement des Crypto-Actifs (ADAN) qui, pour EURACTIV, parle d’une loi « de pédagogie », visant « surtout à répliquer le droit existant sur tous les médias en ligne ». 

 Interrogé lui aussi par EURACTIV, un porte-parole de Meta (le groupe détenant Facebook, WhatsApp et Instagram), abonde en ce sens assurant la volonté du groupe « à poursuivre [leur] collaboration avec les autorités et l’ensemble des acteurs de l’influence en ligne pour mieux protéger [leurs] utilisateurs et encourager des pratiques responsables et transparentes. » 

 M. Vojetta résume ces constats en expliquant pour EURACTIV que sa volonté, partagée par M. Delaporte était « d’aboutir à un texte très équilibré et qui correspondait à [notre] vision, c’est-à-dire pas liberticide, mais clarificateur quant aux règles qui s’appliquent. »

Des divergences sur l’étendue des interdictions

 Les débats se sont focalisés sur la question sur l’étendue des interdictions qu’imposerait la loi. Le Sénat a allongé la liste des publicités interdites, ce qui devrait faire débat en CMP, notamment en ce qui concerne l’interdiction de « toute promotion de traitements médicaux, médicamenteux ou chirurgicaux ». 

 Les sénateurs ont par ailleurs allégé les dispositifs contre la promotion des cryptoactifs, ce dont se réjouit Mme Ambroise qui « craign[ait] une interdiction de la promotion directe ou indirecte des actifs numériques. Or, la promotion indirecte d’actifs numériques peut concerner un centre de formation dispensant un master sur les cryptoactifs. » 

 L’exil fiscal sera le dernier point de débat qui devrait émerger en CMP. La proposition de loi initiale voulait s’assurer que l’expatriation ne soit pas un moyen de contourner la loi. Pour cela, elle exigeait aux influenceurs d’avoir une représentation légale au sein du territoire de l’UE. 

 Cette disposition avait été remplacée par une exigence d’assurance de responsabilité physique lors des débats à l’Assemblée nationale, sous conseil du ministère de l’Économie, pour garantir une conformité aux lois européennes portant sur la liberté de contractualisation. 

 Les sénateurs ont voté le rétablissement de la disposition initiale.

« Nécessité d’une législation européenne » 

 M. Vojetta assure par ailleurs avoir été « sollicité par des médias de tous les continents, qui s’étonnent que la France soit le premier pays à avoir pris ses responsabilités et à avoir légiféré. » 

 Il prévoit de présenter le texte final au cabinet du Commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton, puis aux groupes parlementaires européens Renew Europe (centre) et Socialists&Democrats (gauche), espérant que des textes similaires soient débattus au niveau européen. 

 Contactée par EURACTIV, Stéphanie Yon-Courtin, députée Renew Europe au Parlement européen, explique avoir « poussé un amendement « Nabila » pour interdire la promotion par les influenceurs des services financiers les plus risqués, [car], on ne vend pas des services financiers comme on vend un shampoing ». 

 Elle déplore que cet amendement n’ait pas reçu à l’époque le soutien escompté du Parti populaire européen (droite), mais soutient qu’après la France, « c’est une nécessité et une urgence d’avoir une législation européenne », car, « tous les États sont loin d’avoir un cadre aussi protecteur. » 

 Elle note qu’« en matière de publicité, nous devons assurer une information claire et non trompeuse aux consommateurs : les réseaux sociaux et les placements de produits des influenceurs ne doivent pas y faire exception. » 

 L’UE pourrait répondre à cet enjeu, ajoute Mme L’Honnen Frossard qui regrette que dans la proposition de loi française « la spécificité de l’influence n’ait pas été suffisamment prise en compte. Il existe une différence majeure entre les influenceurs créateurs de leur propre contenu avec la présence d’une marque et la publicité, qui, elle, émane de la marque. » 

 Ce constat est partagé par le Syndicat du Conseil en Relations Publics (SCRP) que la définition d’un influenceur retenue par le Sénat dérange. Il demande « de limiter l’application de la loi aux contenus produits dans le cadre d’une véritable collaboration commerciale et non les contenus qui relèvent de la seule liberté d’expression. »

Par Théophane Hartmann

L'article original disponible ici