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Le Figaro - Contrôle de l'âge sur les réseaux : la croisade de Clara Chappaz - 12/07/2025

Contrôle de l'âge sur les réseaux : la croisade de Clara Chappaz
La France porte une voix forte sur l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans. Je ne lâcherai rien. Nous avons aujourd'hui la dynamique pour avancer. » En déplacement à Londres avec Emmanuel Macron, Clara Chappaz, ministre déléguée au Numérique, reprend son bâton de pèlerin. Depuis sa nomination, en septembre dernier, elle a fait de l'interdiction des réseaux sociaux aux moins de 15 ans l'une de ses priorités. Le timing s'est accéléré en mai. « Je me donne trois mois pour convaincre mes homologues européens de faire de la vérification de l'âge un impératif », confiait alors Clara Chappaz au Figaro . Une première épreuve de vérité devrait avoir lieu ce lundi. La Commission européenne publiera ses lignes directrices pour la protection des mineurs en ligne, un texte - non contraignant juridiquement - prévu par le règlement sur les services numériques (DSA) qui doit guider les plateformes (TikTok, Instagram, Snapchat...) au travers de différentes mesures comme le contrôle de l'âge.
Le sujet n'est pas nouveau. Emmanuel Macron en a fait l'un des leitmotivs de son deuxième mandat. L'interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans faisait partie des recommandations de la « commission écran » présentées en avril 2024. Le président, qui a d'emblée adopté cette idée, souhaite désormais voir la France aux avant-postes de la mobilisation. Il a réaffirmé sa position le mois dernier en réaction au drame de Nogent, où une surveillante s'était fait poignarder par un jeune de 14 ans. « Je nous donne quelques mois pour arriver à faire la mobilisation européenne, sinon je négocierai avec les Européens pour qu'on commence à le faire en France », avait prévenu le chef de l'État, s'attirant les foudres de Bruxelles. Fin juin, il récidivait à l'issue d'un Conseil européen. « J'ai demandé à la Commission qu'elle puisse clairement établir une obligation pour les plateformes (...) de vérifier l'âge de leurs utilisateurs pour l'accès aux réseaux sociaux », avait-il indiqué.
Sur le terrain, il a confié cette mission à Clara Chappaz. Mère de deux jeunes enfants, la ministre ne fait pas mystère de ses « convictions personnelles très fortes » sur le sujet. « Il n'y a pas un déplacement que je fais pour parler d'intelligence artificielle avec les Français qui ne dérive pas sur les réseaux sociaux , poursuit-elle. Toute la société est en demande d'action ; les parents, mais aussi les adolescents, qui demandent eux-mêmes une régulation ! »
Depuis le printemps, elle en a fait une véritable croisade personnelle. « C'est la première ministre du Numérique à ne pas se préoccuper uniquement des questions de start-up », se réjouit une sénatrice. Pour elle, la majorité numérique et le contrôle de l'âge vont forcément de pair. L'obligation imposée aux sites pornographiques de contrôler l'âge de leurs utilisateurs, même si elle a été suspendue depuis par le tribunal administratif de Paris, l'a convaincue qu'il n'y avait aucun obstacle technique pour le faire.
Clara Chappaz a d'emblée porté cette feuille de route au niveau européen. Car la ministre a retenu les leçons du passé. Votée à l'été 2023, la loi Marcangeli, qui visait à instaurer une majorité numérique (15 ans), n'est jamais entrée en vigueur, retoquée par Bruxelles. « Clara Chappaz a compris qu'une énième loi française ne servirait à rien », témoigne le représentant d'une plateforme. Elle a donc profité du débat autour des lignes directrices pour la protection des mineurs pour avancer ses pions. « Nous avions une fenêtre de tir unique », raconte-t-elle.
De Strasbourg à Bruxelles en passant par Luxembourg, Clara Chappaz s'est attelée à convaincre, un à un, les autres États membres. « Je suis allée chercher le soutien de la Grèce, de l'Espagne et du Danemark », confie-t-elle . « Sans l'implication de la France, nous n'en serions pas là, estime la députée danoise Christel Schaldemose, rapporteur du DSA, qui a reçu la ministre à Bruxelles le mois dernier . Les positions tranchées et l'engagement de la ministre ont fait la différence. Elle a donné de la visibilité à ce sujet. » Début juin, elle publie un communiqué commun avec son homologue danoise. Le Danemark, qui a pris la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne le 1 er juillet, a fait de la protection des mineurs l'une de ses deux priorités. Une douzaine d'États membres rallient progressivement la position française. Fin juin, vingt et un ministres issus de treize États membres publient une tribune. « Des mécanismes obligatoires de vérification de l'âge doivent être mis en oeuvre sur tous les réseaux sociaux », martèlent-ils.
Mais la tâche n'est pas aisée. Il faut surmonter au sein même des délégations nationales et des groupes des divergences politiques. Et tenir compte des différences culturelles. Le DSA reste, par ailleurs, exposé à de nombreuses pressions. « Il est aussi bien menacé par les omnibus à venir qui visent à simplifier le cadre réglementaire que par les pressions américaines. Il reste un moyen de pression dans la négociation sur les tarifs douaniers », s'inquiète Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne, très active sur la protection en ligne des mineurs. La faute, selon elle, à la frilosité de Bruxelles. « La Commission fait le service minimum, il n'y a pas de leadership politique. Or, si la Commission flanche, c'est la voie royale pour ne rien faire », déplore la députée, qui regrette que Henna Virkkunen, vice-présidente exécutive de la Commission chargée de la souveraineté technologique, voie le combat en faveur d'une majorité numérique comme une « lubie française ». Clara Chappaz insiste, elle, pour évoquer des contacts « quasi quotidiens » avec le cabinet de la commissaire et une « compréhension » mutuelle.
La ministre se retrouve également prise dans les affrontements entre plateformes, comme lundi dernier, à Bercy, où le ton est monté entre géants de la tech lors d'une réunion de travail. D'un côté, les réseaux sociaux, Meta en tête, qui estiment que le contrôle de l'âge doit être effectué par les magasins d'applications, c'est-à-dire Google et Apple. De l'autre, ces derniers martèlent que le contrôle revient aux applications.
Les lignes commencent à bouger. Google expérimente un nouvel outil de vérification de l'âge en Allemagne. Meta s'est finalement rallié ces derniers jours au principe d'une majorité numérique. Un changement qui s'explique notamment par « la méthode de travail portée par la ministre, exigeante et tournée vers la recherche de solutions concrètes avec l'ensemble des acteurs », selon Anton'Maria Battesti, directeur des affaires publiques de Meta France. « Je ne serai pas satisfaite jusqu'à ce que de vrais outils de vérification d'âge soient déployés » , répond la ministre. Reste que le chemin est parsemé d'embûches. « Les lignes directrices ne sont qu'une première étape, estime Christel Schaldemose. Cette bataille n'est pas terminée. Nous n'en avons pas fait assez pour protéger nos enfants. »
Keren Lentschner