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Les échos - Tribune : Trump : quelle réponse européenne face au « président de la crypto » ? - 22/01/2025
Trump : quelle réponse européenne face au « président de la crypto » ?
Jusqu'à présent, face aux cryptomonnaies, l'Europe a réglementé. Et si elle tirait profit de ces innovations monétaires pour lancer un euro numérique ? proposent Stéphanie Yon-Courtin et Gilles Boyer, eurodéputés du groupe Renew Europe. Donald Trump a promis d'être le « président de la crypto ». Depuis sa victoire, le cours du Bitcoin a explosé. Entre-temps, il a lancé une cryptomonnaie à son effigie. Nous pouvons décrier une bulle spéculative et nous moquer de l'attitude du président américain, mais il se passe indéniablement quelque chose dans le monde de la crypto.
L'Europe y est-elle préparée ? Les cryptomonnaies sont nées d'une méfiance à l'égard du système bancaire traditionnel. Elles permettent aux individus d'effectuer des paiements directement entre eux. Elles constituent un système de paiement alternatif qui ne dépend pas des banques centrales. Aucune autorité ne peut bloquer les transactions en crypto qui sont enregistrées dans une base de données décentralisée gérée par une communauté d'utilisateurs et leurs ordinateurs qu'on appelle la « blockchain ». Si vous êtes un libéral-libertaire de la Silicon Valley qui craint l'influence des gouvernements, alors la crypto est pour vous une philosophie de vie. Si vous vivez dans un pays où les institutions sont fragiles et où les mauvaises décisions d'un dirigeant corrompu peuvent faire disparaître vos économies, alors la crypto est un bon moyen de protéger votre argent. Si vous êtes membre de la diaspora ukrainienne et que vous voulez envoyer de l'argent à votre famille dans une zone de guerre où le système bancaire s'est retiré, alors la crypto est un bon moyen d'atteindre vos destinataires. Enfin, si vous êtes un investisseur qui aime se frotter aux nouvelles technologies, alors la crypto peut être un bon moyen de vous amuser.
Méfiance européenne Mais de nombreux foyers européens ne voient pas l'intérêt des cryptomonnaies. Selon certaines estimations, l'Asie compte 263 millions d'utilisateurs d'actifs numériques, les Etats-Unis 57 millions, l'Afrique 38 millions et l'Europe seulement 31 millions. Les Européens ont eu de bonnes raisons d'être méfiants à l'égard des cryptomonnaies. Il s'agit d'un territoire inconnu dont les promesses d'anonymat ont longtemps attiré une clientèle peu recommandable - des trafiquants de drogue aux mafieux en passant par les financiers du terrorisme. Les acolytes de Poutine et les oligarques russes sanctionnés depuis l'invasion de l'Ukraine utilisent régulièrement les cryptomonnaies pour dissimuler leur argent et acheter des biens immobiliers. Le Parlement européen a adopté une loi qui oblige les traders de crypto en Europe à mettre en oeuvre de solides mesures antiblanchiment.
Mais les Européens peuvent se rassurer : l'Union européenne a pris des mesures pour les protéger contre cet aspect sombre de la crypto. En 2023, le Parlement européen a adopté une loi qui oblige les traders de crypto en Europe à mettre en oeuvre de solides mesures antiblanchiment, telles que la vérification de l'identité de leurs clients, la surveillance des transactions et le signalement d'activités suspectes. Un euro numérique L'Europe a donc réglementé ce qui devait l'être, mais est-on suffisamment armé pour faire face à la transformation du secteur des paiements engagée par la crypto ?
Les cryptomonnaies sont un défi pour la souveraineté monétaire de l'Europe et l'avenir de l'euro. La monnaie, c'est la souveraineté et ces initiatives privées sont parfois hors de contrôle. Depuis quelques années, le secteur des paiements traverse une double transformation, dont les cryptomonnaies font partie : une numérisation croissante, au détriment de l'utilisation de l'argent liquide, et le développement de monnaies privées, comme nous l'a montré en 2019 le projet de monnaie LIBRA/DIEM développé par Facebook. Le défi posé par ces transformations est de taille : dans une économie numérique, nous devons assurer notre souveraineté sur nos systèmes de paiement et préserver le rôle de l'argent public.
En Europe, une piste dans ce sens serait la création d'un « euro numérique ». La Banque centrale européenne planche en ce moment sur une proposition d'euro numérique qui serait un équivalent du cash, mais dans un portefeuille numérique. Comme les cryptomonnaies, c'est un actif numérique. Mais à l'inverse des cryptomonnaies, l'euro numérique serait garanti par une autorité publique et non par quelques codeurs. Cet euro numérique aurait un avantage concret pour les citoyens : un moyen de paiement gratuit, sécurisé, accepté partout en Europe, même dans des zones sans Internet, et avec dans certains cas un niveau d'anonymat similaire à l'argent liquide. Alors au « président de la crypto », l'Europe doit répondre « euro numérique ».
79 % des Européens ont une vision positive de l'euro. Ils lui font confiance car ils le savent solide. L'Europe doit renforcer cette solidité en reprenant la main sur les enjeux liés aux actifs numériques et en développant un euro numérique. Si nous ne le faisons pas, des acteurs privés et d'autres régions du monde le feront, bien plus vite que nous, et nous le regretterons.
Stéphanie Yon-Courtin et Gilles Boyer sont députés européens du groupe Renew Europe, et membres de la commission des affaires économiques et monétaires du Parlement européen. Stéphanie Yon-Courtin et Gilles Boyer