Actualités

Le Figaro I Digital Markets Act: Bruxelles appelé à agir contre «les entorses flagrantes aux règles européennes» d’Apple - 06.03.2024

DÉCRYPTAGE - Le règlement du Digital Markets Act oblige la société à renoncer à ses totems: le groupe doit notamment autoriser sur ses appareils d’autres magasins d’applications que l’App Store, mais aussi d’autres systèmes de paiement pour les transactions opérées au sein des applications.

Apple sera-t-il le premier géant du numérique à goûter aux sanctions prévues par le Digital Markets Act ? Le groupe dirigé par Tim Cook a endossé le rôle du vilain petit canard des Gafam, en livrant une interprétation du règlement européen critiquée de toutes parts. Lundi, alors qu'elle dévoilait une sanction inédite de 1,8 milliard d'euros contre l'entreprise pour abus de position dominante sur le marché des applications musicales, la vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager, a prévenu : « Nous allons étudier très attentivement les solutions d'Apple ( pour se conformer au DMA, NDLR ), c'est une priorité pour nos services. Le cas échéant, nous ouvrirons une enquête. » Pour la patronne de l'antitrust européen, « même si le DMA a été finement pensé, nous savons que nous allons voir beaucoup de créativité dans la manière de le détourner ». Ce règlement prévoit des sanctions pouvant monter jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires annuel. 

L'écosystème fermé des iPhone, dont la marque souligne l'hypersécurisation, est brisé par le DMA. Ce règlement oblige, en effet, Apple à renoncer à ses totems : le groupe doit autoriser sur ses appareils d'autres magasins d'applications que l'App Store, mais aussi d'autres systèmes de paiement pour les transactions opérées au sein des applications. Cela doit permettre aux développeurs d'opter pour des solutions moins coûteuses que les commissions de 15 à 30% qu'Apple prélève sur ces paiements. 

Pour se conformer au DMA, Apple renonce donc à ses commissions pour les applications distribuées hors de l'App Store. Mais ces dernières sont soumises à une nouvelle taxe mensuelle de 50 centimes par installation (la Core Technology Fee), et ce même si elles sont uniquement financées par de la publicité. « Un éditeur devra reverser à Apple 400 000 euros par mois si son application est téléchargée 10 millions de fois hors de l'App Store », calcule la députée européenne Stéphanie Yon-Courtin (Renew). 

Enquête pour non-conformité « Les gros éditeurs sont donc découragés de quitter l'App Store. Et en leur absence, les magasins d'applications alternatifs ne décolleront pas. Apple se sert du DMA comme d'un jouet pour garantir ses rentes. » L'eurodéputée a déposé une question prioritaire auprès de la Commission européenne. « Elle ne doit pas hésiter à lancer vite une enquête pour non-conformité. Apple ne comprend que le rapport de force. Le combat sera rude, mais nous avons une réglementation solide qu'il faut utiliser. » 

Celle qui fut rapporteuse du texte au Parlement européen n'est pas la seule à monter au créneau. Une trentaine d'entreprises européennes, dont les françaises Cafeyn et Deezer et l'association professionnelle France Digitale, ont adressé une lettre ouverte à la Commission pour lui demander d'intervenir. « De notre point de vue, la réponse d'Apple au DMA est fondamentalement trompeuse et destinée à contourner la réglementation », indique Jeronimo Folgueira, directeur général de Deezer. « La Commission ne peut pas laisser passer cette entorse flagrante aux règles » , ajoute Andy Yen, PDG de Proton. 

La peur du gendarme et celle du risque réputationnel viennent déjà de faire leur preuve. À quelques jours de l'entrée en vigueur du DMA, le groupe américain a reculé sur une nouveauté qu'il entendait imposer en Europe. Au nom de ce texte, l'entreprise prévoyait d'interdire, à partir du 7 mars, les « web apps », soit des sites internet visuellement similaires à des applications mobiles. La Commission a immédiatement lancé une consultation auprès de la communauté des développeurs dans l'optique d'ouvrir une enquête, avant qu'Apple n'abandonne ce projet. 

Le groupe américain a également annoncé mercredi matin d'autres concessions sur des points de crispation, « après avoir consulté des milliers de développeurs et entendu des commentaires importants » , indique-t-il. Apple voulait, par exemple, conditionner l'ouverture de magasins alternatifs d'applications sur iPhone à l'envoi d'une lettre de crédit stand-by d'une valeur de 1 million d'euros « provenant d'une institution financière notée au minimum A par S & P, Fitch ou Moody's. » 

Désormais, avoir un compte développeur App Store depuis au moins deux ans suffit. « Apple a réalisé un immense travail d'ingénierie pour se conformer au DMA, commente l'entreprise. Nous sommes attachés à faire en sorte que les développeurs disposent des outils dont ils ont besoin pour prendre la meilleure décision pour leur entreprise. »

L'article original ici.