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L'Express I UE : qui est cette Américaine, ex-consultante pour des Gafam, qui rejoint Bruxelles ?
L’enseignante à Yale et consultante pour plusieurs Gafam deviendra cheffe économiste à la direction générale de la concurrence, le 1ᵉʳ septembre. Un recrutement qui provoque une levée de boucliers au sein du Parlement européen et auprès de certains Etats membres, dont la France.
Une Américaine nommée pour réguler la concurrence économique en Europe. C’est l’annonce faite par la Commission européenne mardi 11 juillet, qui a confirmé l’installation de Fiona Scott Morton, éminente économiste de 56 ans et ultraspécialiste des Gafam, comme responsable de la Direction générale de la concurrence européenne, l’instance de la Commission chargée d’appliquer les règles de la concurrence. Son rôle sera de piloter la lutte contre les monopoles au sein de l’Union.
Mais sa nomination fait débat, à commencer à Paris. Jean-Noël Barrot, le ministre en charge du Numérique, a en effet demandé à la Commission de réexaminer cette nomination. "À l’heure où l’Europe s’engage dans la régulation numérique la plus ambitieuse du monde, la récente nomination de l’économiste en chef de la DG (NDLR : direction générale) Concurrence n’est pas sans soulever des interrogations légitimes", souligne-t-il dans un tweet ce jeudi, avant d’inviter la Commission "à réexaminer son choix".
Devenue professeure à Yale après être sortie du Massachusetts Institute of Technology, l’économiste Fiona Scott Morton a fondé au sein de l’école le projet de recherche Thurman Arnold dédié à la politique de concurrence et à l’application des lois antitrust, réunissant étudiants et professeurs. Entre 2011 et 2012, elle a aussi mené la lutte contre les entreprises aux pratiques anticoncurrentielles au sein du ministère de la Justice de l’ancien président Barack Obama, avec pour objectif d’appliquer des lois limitant le monopole des géants de la tech.
Un risque de conflits d’intérêts ?
Ses qualifications sont donc indéniables, mais son parcours inquiète. En parallèle de ses cours, Fiona Scott Morton a travaillé entre 2006 et 2011 au sein du cabinet Charles River Associates comme consultante pour les géants du numérique, tels Microsoft, qu’elle a conseillé lors du lancement de l’acquisition de l’éditeur de jeux vidéo Activision, mais aussi Apple ou Amazon. En 2019, elle prenait ainsi position dans une tribune du Washington Post contre la scission des Gafam, envisagée par la Commission européenne.
Des activités qui posent la question de possibles conflits d’intérêts, alors que la consultante a probablement signé des accords de confidentialité avec ces entreprises qui ont combattu vigoureusement l’adoption par l’UE des textes de régulation numérique (tels que le DSA et le DMA) ces dernières années. Dès le mois de mai – avant même sa nomination –, des organisations telles que Balanced Economy Project, Corporate Europe Observatory, European Digital SME Alliance, le Conseil irlandais pour les libertés civiles ou LobbyControl ont adressé, selon Reuters, un courrier à la commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager pour exprimer leurs réserves.
Fiona Scott Morton sera amenée à jouer un rôle clef dans les enquêtes de l’autorité de la concurrence sur Alphabet, Google, Apple, Meta Platforms et Microsoft, ainsi que sur des fusions très médiatisées comme l’acquisition par Amazon d’iRobot ou celle de Figma par Adobe. Elle déjà travaillé, au sein de l’administration américaine, sur des pistes pour encadrer les activités de deux géants de la tech, Facebook et Google, et sera chargée de développer des idées similaires dans le droit européen.
Une Américaine devient haute responsable européenne
Fiona Scott Morton remplacera le Belge Pierre Régibeau, qui prendra sa retraite au 1er septembre 2023. Elle sera la première femme à occuper ce poste. Mais aussi la première Américaine, ce qui est très mal accueilli par de nombreux acteurs européens, qui s’étranglent en voyant l’embauche d’une personne extérieure à l’UE à un poste situé au cœur du système économique du Vieux Continent. "Est-on obligé de recruter chez les Gafam américains ? Si l’on rajoute le pantouflage [dans des cabinets d’avocats] de certains hauts fonctionnaires de la Commission : les géants du numérique sont bien entourés pour naviguer dans le nouvel environnement réglementaire européen…", tweetait ainsi l’eurodéputée macroniste Stéphanie Yon-Courtin le 12 juillet.
Fiona Scott Morton ne disposera néanmoins pas d’un poste lui permettant de prendre ou d’appliquer des décisions directes, puisqu’elle agira sous la direction de la Danoise Margrethe Vestager, connue pour sa lutte sans relâche contre le monopole des multinationales et des Gafam.
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